Est-ce que je n'ai pas mieux à faire que les Interventions en Milieu Scolaire contre les LGBTphobies

Ceci est le billet que je procrastine depuis le plus longtemps. Est-ce que je n'ai pas mieux à faire que les Interventions en Milieu Scolaire contre les LGBTphobies (IMS) ? J'ai beaucoup tardé à l'écrire car j'ai très peur de la conclusion qu'aura cette réflexion. J'ai fait 155 IMS, une dizaine d'intervention et formation pour adulte (IFPA), près de 300 heures à animer des formations, sans compter les[1] centaines d'heures de transport, formation, lecture, et toute l'écriture au sujet des IMS et IFPA. Si ma conclusion devait être que c'est du temps qui auraient pu être utilisé bien plus efficacement, ça serait dur de faire le deuil de ce gâchis. Heureusement pour moi - je spoile la fin - j'ai pas réussi à trouver de conclusion. Dans ce billet, j'ai réussi à écrire et détaillé la problématique, et c'est déjà ça.

Note

[1] Au moins deux.

Bien sûr, c'est plus simple d'écrire ce billet aujourd'hui, parce que je vais bientôt arrêter les interventions en milieu scolaire (IMS) contre les LGBTphobies. Parce que je vais avoir 30 ans, âge limite pour être bénévole au Mag jeunes LGBT. Parce que je partage l'opinion du mag: il vaut mieux laisser des plus jeunes parler aux jeunes.

Il est impossible de répondre à la question posé dans ce billet sans dire quel est mon but. «Mieux à faire» n'existe pas tout seul. Mieux à faire pour atteindre un but précis, la question a du sens. Elle est très compliquée, mais sensée.

Point de vue égoïste

Considérons d'abord un point de vue égoïste. Les effets qu'on les IMS sur moi.

Les conséquences des IMS sur ma vie sont excellentes. Par exemple, j'ai expliqué que je dois indirectement aux IMS d'avoir rencontré la personne avec qui je suis en relation depuis le plus longtemps. Cependant, vu que c'est arrivé totalement par hasard, je ne compte pas ceci comme une justification des IMS.

Avant de m'intéresser aux IMS, je comptais participer à TALENS et aider des jeunes, prometteur mais pas aidé, à rejoindre les classes prépa, et donc les grandes écoles. Ça m'intéressait beaucoup plus, parce que c'est très motivant de faire découvrir les maths à des gens vraiment intéressés ! Je n'ai pas pu le faire, car je sentais que je n'avais pas le niveau en physique, et surtout aucune écoute ou soutiens de la part de TALENS à ce sujet. À fortiori, j'ai eu énormément de chance. J'ai des potes à TALENS, qui aident bénévolement aux devoirs, qui luttent contre l'illettrisme. C'est tout un tas d'activités bénévoles tout à fait admirable, mais aucun-e n'a autant d'anecdotes que moi.

Le premier avantage des IMS, c'est que ça se renouvelle beaucoup, et qu'il est rare que je sorte d'une IMS sans 3 ou 4 anecdotes intéressantes. Ce qui signifie que j'ai souvent l'occasion de parler de ce que j'ai vu. Et sous prétexte de témoigner, de faire un état des lieux de ce qu'on entend en lycée. Sous prétexte de permettre à des gens de réaliser ce qu'est la LGBTphobie aujourd'hui, je rappelle souvent aux gens que je suis bénévole, et que je fais des trucs biens. Parfois, je n'ai même pas besoin de leur rappeler, des potes me demandent quels sont les derniers trucs que j'ai entendu là. Finalement, je le signalais déjà il y a 3 ans, cela fait 3 ans que je me contente de prendre des compliments, en faisant le faux modeste et en prétendant qu'ils ne sont pas mérités.

Quitte à parler des anecdotes, il y a encore plus efficaces: mon témoignage youtube. J'ai plusieurs milliers de vues, un article sur yagg. Automatiquement, j'augmente d'autant ma notoriété. Deux articles sur yagg sur mon travail, ça peut commencer un dossier de presse; si j'ai un one-man-show où je parle de LGBT, ça me facilitera la démarche de les contacter et de leur demander de parler de moi. Certes, des milliers de vues, c'est une petite notoriété, mais pas si petite que ça si on compare au nombre de gens qui s'intéressent vraiment aux LGBTphobies. Donc je tombe régulièrement sur des gens qui connaissent cette vidéo, parfois sans me connaître moi. D'ailleurs, une de mes relations m'a connu via cette vidéo avant de me connaître en personne. Au point où j'en suis, va pour le name dropping. Un compliment en message privé de Guillaume Meurice, c'est super flatteur. C'est un humoriste que j'admire énormément.

Enfin, puisque je candidate comme enseignant, 6 ans d'expériences d'interventions devant des élèves, c'est un plus sur le CV. Même si je ne suis pas certains que c'est LA ligne qui fera la différence.

L'efficacité contre les LGBTphobies.

Maintenant que je me suis bien descendu en montrant que je suis un monstre d’égoïsme hypocrite, je vais commencer la partie effrayante du billet. Se demander si c'est efficace pour le but que je veux atteindre.

D'où me vient cette question

À la base, la question me vient de mes lectures sur l'effective altruism, mouvement propagé par pas mal d'aspirants rationalistes que je suis. Mais, pour être honnête, la question a vraiment pris tout son sens pour moi un jour très précis. Ce jour là, je co-animais pour SOS homophobie une formation aux LGBTphobies à destination de fonctionnaires, qui seront eux même formateurs à la diversité dans leurs administrations respectives. Cette formation était à 9h30 du matin et devait durer 2 heures. Et surtout, elle était à Nantes, alors que je suis parisien. Je me suis retrouvé à la faire parce que personne de proche n'était disponible. Depuis 2013 et la loi du mariage pour tous, SOS homophobie - et les assoces LGBT en général - ont été déserté. J'ai donc accepté de prendre le train de 6 heures du matin, me faire deux fois 3 heures de train dans une journée, et avancer le billet de ma poche[1]. Une fois arrivé au centre de formation, à 9h45 (le train a été détourné, travaux sur les voix), je découvre avec horreur que le président du centre de formation fait un discours. Nous avons 20 minutes sur l'importance de la diversité, et d'accueillir tous les citoyens comme des égaux. Puis 10 minutes sur la nouvelle plateforme qu'ils ont mis en place, qui est amené à évoluer. Bref, un forum et un système de partage de fichier en intranet. Pour couronner le tout, il s'en va; il explique qu'il est trop occupé pour rester à la formation...

Là, je me suis vraiment demandé si ce que je faisais à le moindre intérêt. Pas immédiatement, puisque à ce moment là, je commençais à me demander à animer une formation, dans un format nouveau pour moi, et qu'il fallait décider en direct quel demi heure on retirait du planning. Mais rapidement, une fois la formation finie, épuisé mentalement par le fait d'argumenter sur des sujets nouveau pour moi[2], et physiquement par le fait que j'ai peu dormi, je me suis demandé si ce que je faisait avait de l'intérêt.

Selon les gens qui nous ont invité, c'était intéressant: ils ont dit qu'ils referraient appel à nous. En ce qui me concerne, j'ai décidé de plusieurs conditions: ILS payent le billet de train. Un mois pour se faire rembourser, c'est long. Et on demande à notre contact s'il est possible de passer un mot au président, afin qu'on commence à l'heure. Parce que, deux heures, c'est trop court. La formation des intervenants de SOS homophobie dure 3 demies journée, sans compter les observations. Mais si en plus on perd deux heures, on ne peut même plus couvrir autant que ce que l'on couvre avec des élèves, c'est un comble.

Selon les gens formés, c'était intéressant. On a pu parler au déjeuner, ça permet quelques retours, puisqu'on passe de la position de formateur a une position d'égalité. Certains nous ont demandé comment nous faire venir dans leurs administrations respectives, ce qui est positif[3]. On a aussi eu des questions plus personnelle, du style: comment j'explique l'homosexualité à mon enfant.

Dans tous les cas, j'espère qu'on a pu faire passer quelques notions: par exemple, même s'il leur est administrativement/informatiquement impossible de mettre dans les documents officiels autre chose que le genre indiqué sur les papiers officiels, au moins quand ils sont en face à face, d'humain à humain, dans une démarche de vivre ensemble et d'inclusivité, alors ils peuvent dire Monsieur/Madame si la personne dit être un homme/une femme, indépendamment de ce que le papier indique. On a aussi pu leur enseigner un outil qu'ils pourront utiliser dans les formations que eux animeront: le mur des insultes. Cela consiste en demander aux gens formé d'énumérer les insultes (LGBTphobes) qu'ils connaissent, et commenter avec eux ces insultes, voir ce qu'elles cachent, quels message sont envoyé derrières. Tout ça pour dire, cette heure et demi n'a pas été totalement inutile. Il y a sûrement un petit progrès, et, avec un peu de chance, celui ci se répercutera sur les gens formé par les gens qu'on forme. De là à dire que ça vallait l'effort que j'ai fait, je n'en suis pas certains.

Mais même si ce n'est pas inutile, je pense que j'aurai pu faire plus efficace pour les LGBTphobies ce jour là. Par exemple, en ajoutant le texte français de Shades of A sur les pages de Shades of A, et en ayant une bd de plus, en français avec des persos principaux ace, NB, et s'intéressant au consentement. J'aurai peut-être pas fini toute la bd, mais j'aurai bien avancer, et ça pourrait parler à énormément de gens non anglophone.

Où est la limite ?

Maintenant que j'ai admis que je n'étais pas prêt à payer n'importe quel coût en temps pour une activité contre les LGBTphobies, il reste la question de savoir quel limite je mets. Comment choisir cette limite. Et la même question se pose concernant mon auto-formation. Deux formations par ans sont obligatoire pour rester intervenant au MAG, et c'est cool. Même si ça veut dire que les nouveaux/elles interviennent sans avoir suivi des formations sur la totalité des sujets dont on parle. Je fais donc ces formations.

Mais, dois-je continuer de me former par moi même ? Par exemple, quand je lis «les LGBT disent ce truc, et c'est *phobe», je vais quasi-systématiquement lire. Parfois, moi même, je dis ce truc. Je ne suis pas d'accord sur le fait que j'ai été *phobe quand j'ai utilisé ce mot, si j'étais simplement ignorant. Par contre, ça serai surement *phobe si je continuais de le dire après avoir été prévenu. Il suit parfois que je décide de changer ma façon d'exprimer une idée. Par exemple, puisqu'on parle de sexisme et d’identités de genre, je précise maintenant que certains avantages/discriminations seront lié à la manière dont on est perçu, et non pas au genre qu'on ressent. Par exemple, il ne suffit pas de se déclarer NB pour subir/ne plus subir le harcèlement de rue. Parce que ça répond à un argument classique contre la non-binarité, disant que ce concept s'oppose au féminisme et tente de rendre invisible la discrimination sexiste. Seulement, c'est un détail auquel à peu près aucun-e élève ne pensera durant les IMS; rajouter une phrase de ce genre ne changera pas le souvenir que les élèves auront de l'IMS, ni l'effet que cette IMS aura sur eux/elles. Donc cette auto-formation n'a finalement eu aucun effet notable dans la lutte contre les LGBTphobies ou le sexisme.

Je vais généraliser encore plus. On a deux heures avec une classe. On pourrai certainement parler 5 heures sans se répéter tellement il y a de sujets qui nous semblent pertinents. Alors on s'adapte, selon ce qui semble important à tel ou telle intervenant-e, selon les questions/réactions des élèves. On peut se demander ce qui est un changement important, ce qu'il faut rajouter. Et par conséquent ce qu'il faut virer aussi. Ce ne fait pas forcément de grand changements de rajouter un nouvel exemple de sexisme, de rajouter un nouveau témoignage qu'on répète[4]. Donc, est-ce vraiment utile de chercher de nouvelles choses à raconter, quand l'effet sera peu différent finalement ? Je n'en suis plus sûr.

Mais je ne suis pas sûr que, rajouter de nouveaux sujets ne soit pas important. Parce qu'on a rajouté des sujets importants. Et je ne suis pas sûr qu'on sache en avance ce qui était important et ce qui ne l'était pas. Par exemple, c'est un changement important d'ajouter d'autres identités. Parce que l'on parlera à des gens concerné, qu'on aidera certains à se découvrir, parce que d'autres, qui se sont déjà découvert, apprécieront qu'un groupe, approuvé par leur école, par les officiels, leur disent que leur identité est valides. J'ai vraiment découvert l'importance de ces sujets quand j'ai eu des élèves qui nous ont fait par de leur impression. Des élèves concernés par les sujets qu'on aborde, ou qui ont de très bons amis concernés. En tout cas, des gens pour qui c'est important. Et pour qui, c'était très important d'entendre quelqu'un dire ça a haute voix, de manière officielle, en dehors des groupes de potes. À titre personnel, c'est une sensation bizarre, parce que tout le monde se fiche que Arthur Milchior dise à haute voix un truc ou un autre. Ça me force à réaliser que je ne suis pas «Arthur Milchior», je suis «Arthur, intervenant du MAG jeunes LGBT». Et parfois, ces élèves trouvent extrêmement important aussi que leurs camarades de classes entendent ce que le MAG jeunes LGBT a à dire[5].

Parler des IMS

Une chose qui me prend beaucoup de temps, c'est l'écriture. Témoigner des vécus des IMS, ça prend un quart d'heure en plus par IMS. Le témoignage en audio, texte, ça m'a pris environ 65 heures. Ce billet est le 28ème sur ce blog dans la catégorie IMS[6]; avant relecture, il m'a pris 6 heures à écrire - sans compter tout le temps où il a traîné dans ma tête. Comme beaucoup de gens qui écrivent, je considère qu'écrire me fait du bien. Que ce soit des idées ou des propos d'élèves, ça me trotte en tête. Coucher le texte par écrit permet de me débarrasser de ce qui encombre mon esprit. Et de le retrouver plus tard si j'en ai besoin. Ça me permet surtout d'avancer dans ma réflexion, celle ci est bien plus précise, claire, et détaillée quand j'ai finit un billet de blog. Coucher par écrit me permet de formaliser et expliciter mes pensées. Et une fois que c'est fait, qu'elles ne bloquent plus mon cerveau, je peux en tirer les conclusion qui s'imposent à moi.

Simplement, tout ça, c'est des raisons égoïste d'écrire. Ce n'est pas une raison de publier, de rendre public. Je publie, parce que ça me donne une raison pour écrire, je ne prendrai pas le temps de le faire si je ne savais pas que j'avais le blog pour finaliser mon texte. Mais, surtout, mon excuse habituelle, c'est que j'ai convaincu des gens de se lancer dans les interventions, ou dans le bénévolat. J'ai poussé des profs à faire venir des associations dans leurs classes pour parler de ce sujet. Et comme j'ai convaincu plusieurs personnes, je suis une étape d'un processus d’expansions exponentielle... pas super efficace, parce que la plupart des mes enfants spirituels ne parlent pas autant des IMS que moi, et donc ne propagent pas la contamination. Remarquez que, d'un point de vue égoïste, ça m'arrange, parce que ça pourrait rendre mes témoignages moins uniques.

Enfin, récemment, je publie aussi pour partager mes reflexions avec d'autres intervenant-e-s. Peut-être ont ils eu les mêmes problèmes, les mêmes questions et questionnement que moi. Peut-être pas. Mais j'espérai que ça les aide dans leurs IMS. J'espérais aussi qu'ils me donnent leurs avis sur mes reflexions. Concernant le premier espoir; j'ignore si mes billets aident les intervenants, mais en tout cas mes réflexions intéressent d'autre gens. Parfois on me le dit, où je le vois quand on partage mes billets. Concernant le deuxième espoir, malheureusement, je n'ai été que déçu. Je n'ai pas eu de retours. Des intervenant-e-s m'ont confirmés qu'ils avaient lu les billets que je partageai aux membres des IMS. Certain-e-s m'ont discutés entre eux. Un-e intervenant-e m'a même dit qu'on lui a dit du bien de mes billets et qu'il faudrait qu'il prenne le temps de les lires. Mais ça n'est pas encore aller jusqu'à m'apporter un retour qui ferait avancer ma réflexion.

Mesurer l'efficacité

Mon énorme regret, en tant que scientifique, c'est que je ne sais pas comment on pourrait mesurer l'efficacité des IMS. Depuis que j'ai commencé, le but est de lutter contre l'homophobie. Ça semble très dur de mesurer l'efficacité. Parce qu'on ne cherche pas à obtenir des changements en deux heures. D'ailleurs, au moins un intervenant nous a quitté parce qu'il ne voyait pas de changement entre le début et la fin de l'IMS[7]. De plus, on n'a pas de suivi à long terme. Ça serait cool de faire un questionnaire, un an après, pour demander aux élèves comment ils ont évolués. En pratique, ça semble impossible à faire. Même en supposant qu'ils soient tous toujours dans le même établissement, les classes se re-mélangent. Les profs ont autre choses à faire. Et la plupart des élèves auront oublié notre existence - en gros. On pourrait demander aux profs/surveillant s'ils ressentent un effet sur les insultes/moqueries remarqué dans les cours de récréation, mais ça leur demanderait un gros travail, pour conscientiser des choses auxquels ielles ne font pas nécessairement attention. Le risque de biais serait gigantesque.

Depuis, on a rajouté comme but de lutter contre les BTANb+phobies... ça serait encore plus dur à mesurer, il y a peu d'insulte asexuel/aromanticophobe. Aujourd'hui, le but officieux est beaucoup de parler aux jeunes LGBT+ perdu au milieu de la classe, et de leur envoyer un message positif. Puisqu'il y a pleins d'élèves dans le placard, ou en questionnement, il est impossible de leur demander vraiment de s'outer. Même sur les questionnaires anonymes, ils n'ont pas de garantie de l'anonymat, peut-être qu'un-e voisin-e jettera un œil, que le prof reconnaîtra l'écriture en nous piquant les feuilles.

Choisir le sujet sur lequel je bénévole

Cette troisième partie est LA partie dont je voulais parler, celle qui m'a fait tant hésiter à commencer ce billet. J'ai peur qu'elle ne soit peu clair si vous n'êtes pas habitué à la notion d'effective altruism. Je suis encore en train de me renseigner, petit à petit, à ce sujet, je ne suis pas encore très clair sur ce que j'en pense, mais je suis déjà globalement convaincu.

Officiellement, le ministère a autorisé les IMS pour lutter contre l'énorme taux de suicide chez les jeunes homos. Les IMS existaient déjà avant l'autorisation officielle, mais n'étais pas explicitement conseillées aux professeurs. Simplement, si le but est de lutter contre le nombre de mort, il semblerait qu'il y ait bien plus efficace, à l'aide de moustiquaire, qui aident à éviter à la malaria de se rependre. Si mon métier me permettait de faire des heures supplémentaires, est-ce qu'il ne serait pas plus efficace que je gagne un maximum et donne aux association qui s'occupent de ces moustiquaires ?

Simplement, je n'ai pas le droit aux heures supplémentaires[8]. Je ne peux donc pas me dire que le temps passé en IMS m'empêche de gagner des sous à donner pour une cause efficace. Sauf à considérer changer de boulot pour un qui paye plus, mais ça commencer à devenir carrément hors sujet.

Un jour, un homme assistant à une de mes interventions nous a signalé que c'était égoïste de s'occuper de l'homophobie, alors qu'il y a tant de racisme. C'est pas faux, j'estime que tout sujet mérite des interventions, mais je n'en choisi qu'un seul. Et je le choisi parce que j'en suis plus proche, c'est donc égoïste... Enfin non, officiellement en IMS, on porte aussi notre témoignage, donc j'apporte aux IMS quelque chose que statistiquement peu de gens peuvent apporter. Il est donc sensé que je privilégie cette activité.

Le raisonnement que je défends au paragraphe précédent tiendrait s'il y avait un surplus de bénévole. Si toutes les associations avaient plus de bénévoles que nécessaire, et que ma présence contribuait simplement à alléger la charge de travail des autres bénévoles, alors il serait vrai que choisir l'action la plus simple pour moi est un bon choix. Simplement, beaucoup d'associations manquent de bénévoles, et il n'est pas évident du tout que toutes les actions soient aussi efficaces. En tant qu'aspirant rationaliste, en tant que personne qui aimerait être convaincu qu'il agit pour faire des bonnes actions, et pas seulement pour donner une bonne image, alors j'aimerai savoir si j'agis vraiment pour le but le plus utile qui soit, - au moins parmi les buts pour lesquels je peux agir. Et je n'en suis pas sûr du tout.

Par exemple, une amie prof m'a indiqué qu'elle a vu une association intervenir en se centrant sur la notion d'identité. Ce qui permet de parler de discriminations en général, et - théoriquement - évite de devoir faire venir une assoce par sujets. Ça donne aux élèves des clefs pour réfléchir en général, et pouvoir appliquer ces réflexions à de sujets qui apparaîtront plus tard, au lieu de juste entendre des témoignages très particuliers. Peut-être que c'est eux que j'aurai du rejoindre, que c'est eux qui ont raisons, et que c'est l'action la plus efficace. Certes, ils ne luttent ainsi que contre les discriminations explicites, contre la discrimination par action, ça n'aborde pas l'hétérocentrisme ou l'outing par exemple. Mais après tout, en IMS, on aborde rarement ces notions, par manque de temps, et parce que ce n'est pas abordable quand il y a beaucoup d'homophobie explicite.

Peut-être qu'on serait plus efficace en enseignant des modes de réflexions, qui pourront être utilisé pour découvrir ses préjugés par soi même. Par exemple, j'ai eu la discussion suivante:
-Les homos sont efféminés.
-Comment tu le sais ?
-On le voit, dans la rue.
-Tu vois quoi ?
-Des mecs efféminés dans la rue.
-Comment tu sais qu'ils sont homos ?
-Ça se voit.
Il y a un biais de confirmation, et un résonnement très mal fondé. Apprendre ces notions, réussir à montrer aux gens à quels points elles sont importantes, pas uniquement pour la science, mais pour la vraie vie, ça serait super important. Peut-être que ça serait une meilleure utilisation de mon temps. Peut-être aussi que les lycées ferait moins appel à nous, réduisant d'autant l'efficacité de la démarche.

Finalement, je n'ai pas de réponse

Je m'arrête ici, je pense que j'ai rendu mon interrogation aussi clair que possible. Je ne sais comment mieux la formuler, la formaliser. Je ne sais comment conclure. Je suppose que, pour l'instant, je continuerai par habitude. Je ne suis pas sûr d'en être heureux.

Notes

[1] Billet dont j'attend toujours le remboursement un mois plus tard.

[2] Un exemple: certains se plaignaient qu'un contractuel est trans, mais ne leur a pas dit à l'entretien d'embauche. C'est un boulot physique, où ils ont uniquement des douches communes pour hommes, et donc ils ne voulaient embaucher que des contractuels hommes, parce qu'ils n'ont pas la place ou les moyens d'installer de nouvelles douches. Et donc ils ont du faire des douches à des moment séparé, perturbant le travail. Y a énormément de trucs à répondre à ce sujet, je suis vraiment pas habitué, et pas spécialiste en droit du travail dans la fonction publique.

[3] Ou alors, on peut aussi considérer que c'est la preuve qu'on ne va pas assez loin, et qu'on reste dans ce qui est socialement acceptable au lieu de dire les vrais revendications.

[4] Parfois, on est forcé de répéter les témoignages, parce que personne de concerné n'est présent dans la salle de classe. Mais ces témoignages répétés sont bien moins parlant que les témoignages en face à face.

[5] J'ai souvent l'impression que ces élèves sont persuadés de n'avoir rien à apprendre. Ce que je trouve assez mignon.

[6] Et je crois que j'arrive à peu me répéter. Ce qui a probablement un coût en lisibilité, puisque j'ai tendance à renvoyer vers les anciens billets plutôt qu'à réexpliquer les idées qui sont communes à deux billets. Et que la majorité des gens lisant actuellement ce billet n'ont probablement pas lu les billets d'il y a trois ans.

[7] Anecdote vaguement liée: j'ai participé à un projet de recherche européen en science de l'éducation. Il s'agissait de médiation scientifique à l'aide du théâtre auprès d'un public de collégien. Ils avaient l'obligation dans leur projet d'intervenir avec des jeunes chercheurs (bénévoles) en science dites «dur». J'ai accepté de participer, aimant bien la science et le théâtre. Ça a été un désastre, j'avais 1h30 de transport aller, et le 1er jour, j'ai passé 10 minutes avec les collégiens. Le 2ème jour, on m'avait dit que j'aurai plus d'interactions, effectivement, j'avais trois fois 5 minutes avec trois groupes.... Je les ai abandonné. Le côté comique, c'est que un des responsable du projet était l'ancien intervenant, celui qui nous a abandonné par manque d'effet des IMS; il m'a même avoué après qu'il savait que le projet était pourri, mais qu'il avait besoin des bénévoles que nous sommes pour avoir les sous de l'Europe, c'est pour ça qu'il a quand même fait appel à nous.

[8] J'ignore les scènes ouvertes et plateau, où le public met dans un chapeau, que les artistes se partage. J'y gagne en général moins de 10 euros.

Commentaires

1. Le lundi 12 juin 2017, 02:08 par Typhon

« le but est de lutter contre le nombre de mort »

On peut avoir d'autre buts dans la vie que d'empêcher les gens de mourir. Les suicides sont des événements spectaculaires qui attirent l'attention mais pour une personne qui se suicide, combien sont dans la même situation mais réagissent d'une façon moins violente et passent donc inaperçus ? Le suicide au sein d'une population peut être vu comme un symptôme d'un problème social que rencontre cette population, mais ce n'est pas nécessairement un bon proxy pour mesurer l'ampleur du problème en question.

« Mon énorme regret, en tant que scientifique, c'est que je ne sais pas comment on pourrait mesurer l'efficacité des IMS. »

Une réponse qu'on pourrait te faire, dans la veine rationaliste/conséquentialiste, c'est que tu as le droit d'avoir tes warm fuzzies, tu n'es pas obligé de te consacrer 24/24 aux utilons, pour reprendre la terminologie un peu ridicule de Yudkowksy dans ce billet : http://lesswrong.com/lw/6z/purchase...
Dit autrement, même à faire l'hypothèse extrême et probablement fausse que les IMS ne servent à rien d'autre qu'à te faire te sentir bien et à te donner une raison sociale, ça ne t'empêche pas par ailleurs, dans la limite de ton argent durement gagné, de payer des moustiquaires et des vaccins ou tout autre truc estampillé par Givewell...

Mais voici une autre réponse plus meta, puisque tu parles de biais de confirmation à la fin de ton billet :
Je pense qu'un problème de la vision "effective altruism", c'est que si on veut adopter une telle vision, on risque de donner la priorité, non pas à ce qui est efficace parmi l'ensemble des approches caritatives possibles, mais à ce qui est efficace parmi le sous-ensemble d'approches dont il est facile (ou du moins possible) de mesurer l'efficacité.
Je pense que c'est le genre de problème qu'il faut garder à l'esprit quand on commence à avoir mauvaise conscience vis-à-vis de l'utilisation de son temps.

Il n'y a peut-être pas de moyen de produire à l'heure actuelle une justification de l'existence des IMS qui passerait une barre scientifique quantitative, mais on peut dire une telle chose d'énormément d'activités humaines. Scott Alexander est allé jusqu'à prétendre que c'est le cas du système éducatif dans son ensemble et je ne sais à quel point c'était de la provocation.
Le fait est néanmoins que ce n'est pas parce que nous ne pouvons pas produire de telles justifications à l'heure actuelle qu'elles n'existent pas. De la même façon qu'on peut avoir des intuitions sur la façon dont les objets tombent sans formuler de théorie de la gravitation, de la même façon, on peut avoir l'intuition que les IMS remplissent une utilité sociale sans pouvoir formuler une théorie précise de leur justification sociale à l'instant t. Bien sûr on cours le risque que cette intuition soit infirmée mais ça fait partie de la vie, et en l'occurrence, c'est avant tout un problème lié à l'extrême complexité des sciences sociales plus qu'aux IMS en tant que telles.

Somme toute c'est vraisemblablement plus utile socialement que d'être un raminagrobis antisocial qui sort de chez lui une fois tout les six mois comme je crains de plus en plus de le devenir.

Typhon

2. Le lundi 12 juin 2017, 03:27 par Arthur Milchior

Ma remarque sur le nombre de mort est là à titre d'exemple. C'est la raison officielle, c'est celle que je donne aux gens que je soupçonne d'être homophobe, car il n'est pas possible de dire ne pas être contre la diminution du taux de suicide. Je ne dis pas que c'est MA raison d'agir. Par contre, j'aurai du dire explicitement que je ne connais pas ma raison d'agir.

Bref, même s'il y a plus efficace en terme de nombre de vie sauvé, ce n'est pas une bonne raison, en soit, pour arrêter les IMS, puisque ce n'est pas la fonction d'utilité.

J'ai déjà lu et connaît quelques réponses classiques à l'effective altruism. Je suis pas toujours convaincu, d'ailleurs, ni par l'EA, ni par ses réponses. Mon point ici était, honnêtement, de dire d'où part ma réflexion. Je n'ai explicitement pas voulu m'étendre sur l'EA, car j'estime que tout le raisonnement, tout lee billet, se tient sans rien connaître à l'EA.

Ta conclusion me fait penser à un autre avantage des IMS: ça me donne l'habitude d'agir. Je suppose qu'en attendant de trouver plus efficace, c'est toujours une bonne habitude à garder.

3. Le mardi 13 juin 2017, 17:10 par Jena

La diminution du nombre de mort est aussi historiquement la raison de mes luttes dans différentes associations, mais je pense que j'y ajoute que c'est de toute façon un travail à long terme et pour lequel il est impossible de mesure l'effet de ma goutte d'eau. C'était encore plus flagrant lorsqu'on travaillait sur la visibilité LGBT en espérant toucher la personne seule au milieu de la classe dont tu parles.

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