«On ne peut plus rien dire», j'ai commencé à avoir une intuition de cette phrase, et je la comprend encore moins
Par Arthur Milchior le dimanche 5 mai 2019, 09:08 - Minorité - Lien permanent
D'habitude, j'écris des billets pour dire ce que je comprend pas. Exceptionnellement, j'ai l'impression d'avoir légèrement compris un point de vue opposé au mien. Sauf que ce que j'ai compris me conforte dans des positions que j'ai déjà partagée sur ce blog concernant les discriminations. Je précise que ce billet va décrire un événement en le modifiant légèrement. Déjà parce que résumé une discussion la modifie nécessairement. Mais aussi parce que certains détails sont modifié pour éviter que la personne dont je parle puisse être identifiable. Et aussi pour éviter les détails qui pourraient être jugés trop intime.
Récemment, j'ai rencontré sur okCupid une personne. Il se définit lui-même comme «asiat» et «non-cis» (je ne mettrai plus de guillemets après). Ces deux caractéristiques font très fortement partie de son identité. Le premier point est très important pour lui, à cause du racisme qu'il se prend, du fait que la société ne reconnait pas en général le racisme contre les personnes asiat. Au point que ce sujet est ignoré parmi la plupart des associations contre le racisme. Qui plus est, les associations anti-racismes sont remplies de gens non-sensibilisé aux questions trans, et les associations queers ne sont pas sensibilisées aux question de racisme. Le second point est aussi important, parce qu'il a pas mal de dysphorie est veut absolument qu'on évite de parler de lui au féminin.
J'ai invité cette personne à déjeuner chez moi, lui ai demandé s'il avait des restrictions alimentaires, et il m'a dit qu'il mangeait de tout. J'ai donc fait un des plats que je fais usuellement quand je veux pas me prendre la tête mais quand même faire un truc plus travailler que des pates: un risotto. Bon, j'admet que c'est pas un risotto traditionnel et que je vexerai surement les puristes. Disons que j'ai fait sauter pas mal de petit légume avec quelques épices, puis je remet de l'huile et rajoute le riz, enfin je fais cuire le tout dans l'eau. J'ai jamais obtenu la vraie texture du risotto des restaurants italiens, mais c'est un plat vegan avec du gout et des féculents, ce qui fait qu'en général, ça convient à tous les gens pour qui je cuisine.
À un moment, pour je ne sais plus quel raison, je parle de sa main. Hors, sa main, c'est féminin. Il me dis donc qu'il se sent mal à l'aise, car ça le trigger que je parle de son corps au féminin. J'admet qu'il m'avait prévenu, mais j'avais même pas remarqué que «partie féminine de son corps» était ambigu. Je pense que j'ai pas besoin d'expliciter ce que j'avais compris, mais clairement, je ne pensais pas qu'il parlait du genre du mot. En fait, j'ai agi comme j'aurai agi avec d'autres connaissance trans. Et en fait comme j'aurai agi avec la majorité des gens, parce que honnêtement, je parle pas si souvent que ça des parties féminines ou masculine du corps. Bref, je comprend qu'il faudra que je fasse plus attention plus tard, je suis un peu mal à l'aise de l'avoir triggeré, et je passe à autre chose.
Le lendemain, cette personne me recontacte, et, si je comprend bien ce qu'il m'a dit, me fait savoir qu'il sait que c'est parce qu'il est asiat que je lui ai fait du riz. Et visiblement il l'a mal pris. Étonnamment, ma première réaction réflexe est l'envie de dire que le risotto est traditionnellement considéré comme un plat italien(j'ai même été vérifié sur wikipédia). Mais j'ai aussitôt réalisé que ce n'était absolument pas pertinent (outre le fait que je doute que les italiens soient les seuls à avoir imaginé de mettre de trucs avec du riz et un mini fond d'eau). Je pense aussi que le risotto est aussi un truc que je me fais souvent, pour les raisons expliquées plus haut. Je peux comprendre qu'on lui offre souvent du riz, voir que l'on fasse référence au riz en parlant à lui, donc que recevoir ce plat n'était pas neutre du tout pour lui. Que je ne suis pas sensibilisé à ces questions, sinon j'aurai pensé à faire un plat qui a moins de chance de faire penser à des remarques racistes qu'il peut se prendre. Et que dans tous les cas, il ne peut pas me connaître assez pour pouvoir savoir si je fais régulièrement du riz ou si j'en ai fait spécialement pour lui.
Je me suis aussi pris un certain nombre d'autre remarque parce que, soit que je participais pas assez à la discussion et qu'il voyait que ce que je disais ne m'intéressait pas, soit que j'avais tenté de le censurer en parlant et le coupant. Bien sûr, je reformule. On a interagi durant des heures sur quelques jours, il est dur de tout résumer en un billet. Mais il a explicitement employé le mot censure pour parler de discussion entre nous. Et il me rappelle que j'ai utilisé du féminin pour parler de lui (pour rappel, j'ai parlé de sa main), alors qu'il espérait que, avec un mec qu'il a rencontré sur okCupid, avec ce que j'avais dis sur les Interventions en Milieu Scolaire contre les LGBTphobies, il aurait cru que je serai sensibilisé et ne ferait pas ce genre de bêtise.
Ce que j'ai compris
Là où je veux en venir avec cette anecdote, c'est que j'ai légèrement pu comprendre, pour la première fois, d'où vient la réaction de tout ces personnes qui, dans les médias, disent «on ne peut plus rien dire». Je comprend très légèrement comment ils peuvent ressentir l'impression qu'ils sont brimés car ils sont blanc, cis, het...
Sauf qu'en réalité, je comprend encore moins. J'admet volontiers que c'est légèrement frustrant de se prendre ces remarques, et d'avoir l'impression que quoi que je fasse, ça prouvera forcément que je suis une mauvaise personne. Mais ceci dit, ça reste incommensurablement moins frustrant que toutes les injustices qu'il a pu me raconter, ou que j'ai pu lire dans de nombreux autres témoignages. Dans le pire des cas, j'ai du passer une dizaine d'heure à interagir avec lui, et je dirai même pas que c'est des heures perdu. Et j'ai dépensé deux assiettes de risottos. Bref, rien qui aura la moindre influence sur ma vie. J'aurai écris un billet de blog en plus, et si je réinvite quelqu'un à manger, j'aurai en tête d'autres questions à prendre en compte, en plus de savoir quels sont ses restrictions alimentaires.
Ce qui fait que, si c'est ça ce dont les gens dont qui disent «on ne peut plus rien dire» se plaignent, même si ce genre de réaction leur arrive bien plus souvent qu'à moi, je comprend vraiment pas cette plainte.