Altruisme efficace et critiquer les actions militantes, réponse à ce paradoxe

Depuis quelques temps, je me suis intéressé à la notion d'Altruisme Efficace (EA, pour Effective Altruism). Mes lectures à ce sujet sont intéressante[1], et j'aimerai juste rajouter au débat une petite idée qui m'est venue, qui me semble importante, et que je n'y ai pas encore rencontré. Si l'idée est déjà présente quelque part, alors je peux au mois signaler qu'elle est bien trop cachée, et devrait être présentée dans n'importe quel introduction à ce sujet.

Note

[1] J'ai tenté de rejoindre le groupe parisien, mais pour l'instant, je n'ai rien vu d'autre que des discussions. Si je pense avoir été plus efficace avec les interventions en lycées (dont j'ai pourtant questionné l'intérêt) qu'avec cette association, j'ai préféré ne pas y retourner.

Pourquoi il est mal vu de critiquer l'action d'autrui

Dans les milieux que je fréquente, il est très mal vu de critiquer l'action commise par quelqu'un d'autre en tant que bénévole, activiste ou militant. Puisque dire aux gens comment mener ces actions est le cœur même de l'altruisme efficace, l'EA serait quelque chose de mal vu. Il me fallait donc comprendre et résoudre ce conflit. Et pour cela, il faut expliciter les raisons pour lesquels dire à quelqu'un comment ne pas agir est mal vu. Je connais deux telles raisons.

Ne fais rien !

La première raison pour laquelle il est mal vu de dire à quelqu'un que son action est inefficace, c'est que cette remarque semblent souvent provenir de gens qui ne font rien. Il est bien plus simple de critiquer que d'agir. Et comme beaucoup de critiques sont non constructives, écouter ses critiques reviendrait à ne plus rien faire. Ne rien faire n'est, en général, pas une situation plus efficace que celle de continuer l'action en cours.

Notons qu'il est rare que le conseil soit explicitement: "arrête d'agir". Mais ce conseil existe au moins dans le cas où quelqu'un te dit que «tu nuis à la cause». C'est typiquement ce qui est entendu systématiquement quand quelqu'un est accusé de «donner une mauvaise image». Par exemple quand quelqu'un s'énerve, hausse la voix, insulte, tague, détruit des vitrines, tient un piquet de grêve, etc...

Ta lutte n'est pas importante

La seconde raison, plus grave, c'est que beaucoup de critiques sont dues à la notion de «prioritisation des luttes». J'ai un certain nombre de témoignages d'ami-e-s racisé-e-s et LGB ou T, agissant pour les causes LGBT, s'entendent dire par leurs familles ou par d'autres gens racisés qu'il/elle-s perdent leur temps et devrait se concentrer sur ce qui est important: le racisme. Parfois, ces critiques n'imaginent pas que la personne puisse appartenir aux deux groupes à la fois, puisque ne rentrant pas dans un des clichés LGBT.

De même, j'ai ouï dire que pendant longtemps, les syndicats ont violemment rejetés les problématiques homosexuelles, qui étaient alors considéré comme des pratiques de riches égoïstes auxquels ils ne voulaient pas être associés. De même, de syndicats prétendaient qu'il n'y avait pas à s'attaquer au sexisme, car une fois le capitalisme détruit, le patriarcat suivra naturellement, l'homme n'ayant alors plus rien pour dominer la femme.

Enfin, j'ai entendu plusieurs fois dire qu'il n'est pas grave de ne pas considérer les questions polyamoureuse pour l'instant, tant qu'on n'a pas fini avec les LGBTphobies (pour le coup, je l'ai surtout entendu de la part de polyamoureux, souvent eux même LGB ou T).

Les deux premiers exemples sont très négatifs. J'ignore si la fin du capitalisme entraînerait la fin du patriarcat. J'ignore si le capitalisme aura une fin avant la fin de l'humanité. Mais même en prenant comme axiome que la fin du capitalisme est possible et souhaitable, je suis persuadé que si le sexisme pouvait être réduit rapidement, alors c'est utile de mener des actions dans ce but sans attendre. S'il est possible d'améliorer la situation des femmes vivant dans la société actuelle, ça vaut le coup de le faire.

Tout ça pour dire, historiquement, «tu devrais devrait militer autrement» à un passé très négatif, puisque ça veut presque toujours dire: «ton but n'est pas important». Plus précisément, ça veut dire «ton but n'est pas important pour moi, donc je considère qu'il ne devrait l'être pour personne (à part peut-être pour des ennemis)».

Pourquoi ces raisons ne s'appliquent pas à l'EA.

Agis, mais autrement.

Tout d'abord, l'EA critique de façon constructive. Ils conseillent un certain nombre d'action à effectuer, et des manières de mesurer l'efficacité de certaines actions. Donc le premier point n'est pas pertinent ici. C'est d'autant plus vrai que, pour mesurer l'efficacité d'une action, celle-ci doit absolument continuer d'avoir lieu.

Il y a un unique cas, à ma connaissance, où ils conseillent effectivement d'arrêter une action, sans conseiller de remplacement. Ils font ceci dans le cas critique où il a été montré que l'action nuit à la cause recherchée. Le mot important ici est «a été montré». Ici, ça peut signifier: est-ce que le nombre de violence sur les travailleuses du sexe à augmenter suite à une mesure. Il semble relativement classique que des mesures prise officiellement pour les protéger augmentent les dangers pour elles. Dans ce cas, d'un point de vue de l'efficacité, arrêter cette mesure peut être conseillé sans avoir à proposer d'alternative. (D'un point de vue politique, ne pas proposer d'alternative est compliqué. Simplement, comment faire accepter une décision politique ne semble pas être le cœur de la problématique.)

Personellement, j'estime que fait ce genre de mesure, sur les effets suites à une action, c'est bien plus acceptable que juste considérer le ressenti que des gens ont en entendant parler de cette mesure. Et par conséquent, que la critique mentionné plus haut «tu donnes une mauvaise image» ne s'applique plus ici.

Choisi pour quoi tu agis

Concernant le deuxième point, l'EA est agnostique. Il est répété un bon nombre de fois que l'EA apporte des techniques qui peuvent être appliquées à différentes causes. Cela se voit bien quand une association dit «voici les actions les plus efficace dans différent domaine. Si vous voulez donner à la cause animale, donnez à A. Si vous voulez donner pour améliorer la vie des personnes les plus pauvres, donnez à B. Etc..».

Cependant il y a un petit nombre de sujets qui reviennent très régulièrement. En plus des deux exemples donné à l'instant, on trouve aussi la lutte contre les risques existentielles, prévoir l'évolution du monde à très long terme. Cela laisse penser que l'EA ne peut s'appliquer qu'à ces enjeu. Certes, le handbook d'EA donne des exemples d'autres causes qui pourraient être prise étudiées. Des causes tels qu'améliorer la recherche scientifique. Mais pour l'instant je n'ai vu aucun exemple d'action concentrés sur la lutte contre les discriminations. Mais rien n'empêche théoriquement ces buts d'être analysées et optimisés selon les techniques d'EA. Il faut que quelqu'un prenne le temps de s'y attaquer. Et puisque ces études peuvent coûter cher et demander un travail important, il faut que ce quelqu'un soit épaulé d'une grosse association.

Je pense savoir comment je pourrai facilement être convaincu que l'EA ne prétend pas dire quels buts sont importants. Ils suffiraient qu'ils mettent en avant la possibilité d'appliquer l'EA à une cause jugé «mauvaise» dans nos milieu. Par exemple, la défense du mariage «traditionnel». Je suis ravi à ce que les gens menant des recherches en EA ne prennent pas effectivement du temps à analyser comment rendre la manif contre tous plus efficace. Simplement, cet exemple théorique, «l'EA pourrait aussi être utile à la manif contre tous», montre que la recherche d'efficacité ne suppose rien quand au but. Que le but doit être décidé par chacun. Donc que quand l'EA suggère les actions à mener, ça ne dit pas qu'une action luttant pour une autre cause soit fondamentalement mauvaise. Ça suggère juste ce qui devrait être évident: lutter pour une cause A n'est pas nécessairement efficace pour faire avancer une cause B.

P.S.

Ça a été super dur de trouver un titre, et il me plaît pas trop. Je sais pas comment à la fois faire savoir que je parle d'EA. Que j'explicite une règle que j'ai toujours vu implicitement sans jamais être expliquée. Et que je différencie les deux sujets alors que je ne n'ai vu personne les mettre explicitement côte à côte.

Commentaires

1. Le vendredi 14 décembre 2018, 16:48 par Athreeren

https://www.lesswrong.com/posts/3p3...

Un des intérêts des causes “mineures”, c’est qu’il est plus simple d’observer son impact personnel en leur sein, et elles sont donc plus motivantes que d’apporter une petite brique à un immense bâtiment. Il y a aussi des causes qui demandent un coût mineur, et dont l’impact semble positif même si c’est difficile à montrer : celles-ci ne relèvent pas de l'EA, mais il n'y a pas d'intérêt à s'y opposer. Donc si le bénévolat te fais te sentir mieux et que c’est pour une cause qui n’est pas néfaste à grande échelle, autant le faire. Il me semble plus constructif de présenter l’EA en tant qu'activité qui peut être complété par du bénévolat classique que comme une activité qui doit être opposée au bénévolat classique.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.milchior.fr/blog/index.php?trackback/725

Fil des commentaires de ce billet