Problème du Trolley, ce que vous devez faire si je suis sur la voie

TW: mort, suicide et meurtre. Problème du Trolley.

Un problème super classique d'éthique est le suivant: tu es devant une voie de chemin de fer. Un train arrive. Il va rouler sur 4 personnes qui sont attachés aux rails de la voie principale. Mais tu peux le faire changer de voie pour qu'il roule seulement sur le seul type attaché à la voie secondaire. Doit tu le faire changer de voie ?

Je pense que la manière la plus intéressante de poser cette question est: que choisis tu si tu es sur une des voie ? En particulier, si tu es sur la voie secondaire, celle vers laquelle le train ne se dirige pas encore. Dans mon cas, la réponse est simple, je souhaite que la personne au levier n'ait aucun doute sur le fait qu'elle doit détourner le train ! Parce que, n'ayant aucune autre information, je suppose que les 4 autres personnes sont aussi des copies de moi. Grosso modo. Pas des clones moi, mais indistinguable pour toutes questions pratiques. Autrement dit, je suppose que j'ai une chance sur 5 d'être seul, et 4 chances sur 5 d'être dans le groupe de 4. Et je préfère mourir avec 20% de chance, à cause d'une action d'un autre, que de mourir avec 80% de chances parce que personnes n'a voulu prendre de responsabilités.

Je sais que des gens auraient du mal à faire changer le train de voie. C'est pour ça que j'écris ce billet, que je dis publiquement mon opinion à ce sujet. Et surtout, c'est pour ça que j'aimerai qu'énormément de gens déclarent aussi partager cette opinion. Parce qu'alors, la personne qui se trouve effectivement en charge du changement de voie saura qu'elle peut effectuer ce changement la conscience tranquille. Et ne subira pas de conséquences négatives de la société pour son action. Ce qui, in fine, augmente ma chance de survie de 60 points !

Et si ça arrive ?

À noter que je ne dis rien de plus que ce qui est littéralement écrit dessus. Je me réserve pleinement le droit de l'incohérence, que le jour où je serai sur la voix seul, je plaiderai autant que possible pour dire de ne pas tourner le bouton, pour faire croire que les 4 autres personnes sont pire qu'Hitler, pour tenter de faire croire à celui qui va changer la voie qu'elle aura ma mort sur la conscience. Bref, une fois que je sais que c'est 100%, et non pas 20%, je soupçonne fortement que je tenterai de survivre. En particulier, si je suis sur la voie seul et que c'est moi qui peut détourner le train, je ne m'engage en aucun cas à appuyer sur le bouton.

Ou alors je réussirai à être cohérent. Dans la chaleur de mon appartement, là où le pire danger que je peux prévoir est que mon contrat de travail ne soit pas renouvelé l'an prochain, c'est impossible d'imaginer ce que je ferai vraiment. Je peux juste dire que j'espère réussir à être cohérent. Parce que donner ma mort sur la conscience à la personne qui a fait changer la voie, ça serait excessivement injuste et n'aurait aucune utilitée.

Paradoxalement, je ne vois qu'un seul vrai problème lié à la politique que je défend ici. S'il devait arriver que cette situation se répète suffisament souvent pour que ce choix ait une influence sur la survie d'une population entière, alors les populations altruistes finiraient par disparaître au profits des populations égoïstes. Je vais donc tenter de faire preuve d'optimisme, et, dans ce billet, rester dans l'hypothèse que le problème du trolley ne se pose que de façon exceptionnelle.

Préalable

Comme beaucoup de problèmes de ce genre, il me semble le problème du Trolley manque énormément de contexte. Ce problème abstrait des questions pratiques qu'on peut réellement se poser. Mais le contexte dans lequel ces questions pratiques arrivent peut légitimement changer la décision qui sera prise.

Par exemple, imaginons qu'un le super vilain ait capturé cinq personnes. Qu'il connaîsse l'opinion de ces cinq personnes sur le problème du Trolley (par exemple, parce que ces cinq personnes ont blogués à ce sujet). Disons que ce super-vilain a décidé de mettre, sur la voie principale, que des gens préférant qu'on ne change pas le train de voie. Et qu'il ait mis sur la voie secondaire quelqu'un préférant qu'on change le train de voie. S'il m'a capturé et a lu ce billet, je serai sur la voie secondaire. Si la personne pouvant changer le train de voie décide d'écouter l'opinion qu'avaient les quatres personnes sur la voie principale (i.e. ne rien faire) alors je survis. Tandis que s'il décide de n'écouter que mon opinion, je meurs. Je trouve ça légèrement paradoxale. Ce qui m'intéresse le plus ici, c'est que dans cet exemple, on a totalement détruit l'hypothèse 20 %/80 %. Et c'est un peu ce qui me fait peur en écrivant ce billet, que ça serve d'argument pour sacrifier systématiquement celui qui pense qu'il faut tuer le nombre minimum de gens. Je continue bien sûr de penser qu'il faut limiter autant que possible le nombre de mort, je ne pense pas pour autant que moi et les gens pensant comme moi devons être choisi en premier pour être ces morts. Pour dire ça autrement, j'avais posé une hypothèse plus haut: la personne qui décedera est choisie au hasard. Et ici, cette hypothèse ne tient plus.

Un autre préalable que j'ai ignoré est: qui sont les autres personnes attachées ? Si le train me tue, alors que les 4 autres sont pire qu'Hitler, ça m'ennuierait un peu. Enfin non, puisque je serai mort. Mais disons que, théoriquement, si on mettait Hitler et quelques autres tyransd en face, je préfèrerai quand même avoir la vie sauve. Je suis contre la peine de mort, sans exception, et plutôt pour le droit à un procès équitable, toujours sans exception. Mais ici, ce n'est pas la question qui m'intéresse. Dans ce cas là, j'ignore encore quel serait la réponse que je préfère. Je n'ai aucune envie que ma vie soit sacrifié pour sauver des tyrans. Mais je n'ai pas non plus envie d'être le genre de personne qui considère que sa vie vaut mieux que celle de 4 autres personnes, a fortiori que ça peut se décider en quelques secondes.

Le dernier préalable qui a été ignoré, c'est comment on en est arrivé là. C'est quand même pas anodin comme question. Avoir la réponse permettrait d'éviter que ça se reproduise. L'hypothèse d'un super vilain est assez fantaisiste. Par contre, il semble que des problèmes similaires au problème du trolley arrivent, pour de vrai, dans des cas techniques où des décisions doivent être prises rapidement. La question peut alors se poser entre un piéton et une voiture remplie de passager. Ou bien quatre piétons et une voiture avec une seule personne. Ou bien, un employé des chemins de fers à un poste solitaire VS quatre employés des chemins de fers travaillant en groupes, etc...

Je vais prendre un exemple encore plus cynique. Disons qu'il y a un bureau où sont quatre managers. Ce bureau va être détruit par une machine, mais il est possible de détourner la machine et de tuer un unique ouvrier. Si la machine est détournée, et que les managers savent que la machine est détournée à chaque fois, ils n'ont pas forcément de raison de réellement éviter que cet incident se reproduise. La vraie vie montre qu'entre mener des travaux couteux et risquer la vie des salariés, le premier choix n'est pas systématiquement suivi. Donc, il est possible que cet incident se reproduise, et qu'au bout d'un moment, cinq ouvriers décèdent là où la mort immédiate de quatre managers aurait permi de s'assurer que l'incident soit traité extrémement sérieusement. Bien sûr, cet exemple est très simplifié, et la personne qui doit ou non appuyer rapidement sur un bouton pour détourner la machine ne peut pas forcément savoir dès le premier incident si celui-ci se reproduira ou non. Donc je ne dis pas qu'il ne faut pas appuyer sur le bouton. Je dis simplement que mon argument pour «tu dois absolument appuyer sur le bouton» ne tiens plus.

Conclusion

Bref, tout ça pour dire, je prend un engagement très fort, pour des conditions tellement fortes que je n'envisage pas qu'elles se produissent. N'empêche, avant d'écrire un billet sur Atlas Shrugged (Spoiler alert), je sentais que je devais expliquer pourquoi je n'aurai pas prêté le serment “I swear, by my life and my love of it, that I will never live for the sake of another man, nor ask another man to live for mine.” Ou alors je l'aurai prêté de façon cynique, non par choix, mais parce que, même si ce serment me semble néfaste à long terme, il m'aurait permis une survie à court terme.

Commentaires

1. Le mardi 3 juillet 2018, 21:09 par LCF

Adam Lee, l'auteur du globe Daylight Atheism, a écrit toute une série critique sur Atlas Shrugged.
http://www.patheos.com/blogs/daylig...

Il est actuellement sur la critique d'un autre livre de Rand: The Fountainhead.

2. Le lundi 16 juillet 2018, 00:52 par Arthur Milchior

Tu as lu sa critique ? Tu en penses quelque chose ?
J'ai essayé. Et j'ai beaucoup de mal.
Je suis d'accord avec lui. Rand a passé énormément de chose sous silence. Et c'est un tort, car pour appliquer sa philosophie, ce sont des choses importantes.
Alors il les complète, en utilisant les patrons d'industries de notre monde.
J'ignore ce que Rand pensait, ce que ses personnages étaient supposés penser. Mais je crains qu'il ne soit de mauvaise foi. Tenter de reprocher ce que fait notre monde au leur.

Mais là ou j'ai craqué, c'était «If Randians see their personal relationships in the same zero-sum spirit as a business contract, that would go a long way toward explaining passages like this.» http://www.patheos.com/blogs/daylig...
Parce qu'il me semble que ça montre qu'il n'a absolument rien compris.

Si c'est zero-sum, alors tu n'as aucun intérêt à signer ce contrat. Le but d'un contrat est que le résultat soit positif pour les deux. Il y a des devoirs et des droits, des coûts et des bénéfices. Si c'est zero-sum, soit l'un des deux y perd, et n'aurait pas du signer. Soit aucun des deux gagne ou perd, et c'est du temps perdu. Sans intérêt.

Et ça s'applique aussi aux époux Rearden. Le mariage aurait du les rendre heureux tous les deux. Et pas l'un au dépend de l'autre. Si, refuser que le mariage se fasse «l'un au dépend de l'autre». Puisque l'un y gagne ce que l'autre y perd, on peut dire que c'est Zero-sum, mais ça n'a pas l'air d'être ce que Rand défend, mais ce qu'elle attaque.

Selon moi, la vrai critique de ce passage, c'est: comment diable ce mariage a t-il pu avoir lieu ? Ça semble être une immense bêtise dès le départ. Et s'il se marie par obligation sociale, je n'aurai pas mis ça au détriment de Rearden, mais à celui de la société.

3. Le lundi 16 juillet 2018, 18:56 par LCF, grand économiste

Le côté "somme nulle", c'est parce que Rand écrit son univers dans la perspective suivante: les humains, les vrais capitalistes, les purs extraient la valeur, la richesse, tandis que les socialistes, les sous-êtres, les pilleurs doivent crever de faim, de misère, de maladies et de froid. Cette idée dirige tout le reste.
Hank est un humain, sa femme est sa famille sont des suceurs. La suite découle logiquement du postulat.

"Mais je crains qu'il ne soit de mauvaise foi. Tenter de reprocher ce que fait notre monde au leur."
Atlas est une fiction, qui se veut une explication du monde réel. Le monde réel est le seul qui importe.
Si les choses se passent d'une certaine manière dans le monde réel, peu importe ce qu'en pensait Rand, peu importe ce qu'elle en a écrit dans ses fictions.

Je pense que Rand n'a aucune compétence économique, et que ses écrits n'ont aucune valeur intellectuelle. Comme pour n'importe quel livre religieux, le peu qui est intéressant se retrouve dans de bien meilleurs ouvrages, ou dans la bonne éducation que nous reçûmes.

Problème du tram (sérieux):
Sans informations sur qui est qui, diriger le tram inarrêtable sur la voie d'une seule victime est la moins pire des options. C'est la seule chose morale à faire.

Problème du tram (pas sérieux):
On bute les cinq en faisant dérailler à moitié le tram pour que l'avant soit sur l'une des voies et l'arrière sur l'autre voie. On y jette quelques bébés chiants, on lance quelques grenades, on passe tout au lance-flamme. On va en orbite basse et on atomise le reste. C'est le seul moyen d'être certain.

4. Le mercredi 18 juillet 2018, 21:21 par LCF

En y repensant, on ignore comment l'aiguilleur se retrouve dans cette catastrophe, parce que c'est une expérience de pensée.
Mais moins que le test de moralité, moins que l'aspect Utilitaire, c'est peut-être plus un test de la capacité de chacun à s'engager, à choisir.
Qui aura la force morale de *faire* un choix, qui fuira la responsabilité?

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