Être quelqu'un de bien malgré les contradiction du milieu

Pour une raison que j'ignore, ces derniers temps, quand me vient une idée de billet, un sujet sur lequel j'ai envie de partager un avis que je ne vois pas souvent écrit[1], je tombe peu après[2] sur un article pour l'illustrer. Ici, ça viendra d'un article partagé récemment par un proche - auquel j'ai pas compris grand chose j'avoue, mais qui contient le passage suivant:
«Une personne d’un groupe opprimé auquel on n’appartient pas subit une agression liée à sa classe sous nos yeux. Deux possibilités se présentent : on peut réagir, au risque d’être accusé-e de paternalisme ou, ayant pris en compte ce risque, on peut ne pas réagir et être taxé-e de …iste ou …phobe. Alors que faire ??? Si vous avez une solution qui vous permet de garder la cote dans le milieu, je vous tire mon chapeau.»

Je n'ai pas de solution. Et je m'en fiche. Oui, quand j'essaye de faire les trucs bien (tm), il y a des fois où aucune solution ne sera homologuée «bien», par ceux qui se permettent d'homologuer, et c'est pas grave. Et ce n'est même pas parce que «Pour se sortir de toute situation délicate, on invoquera sans coup férir le droit d’avoir des contradictions et de les assumer ! C’est d’une simplicité enfantine, il fallait y penser[3] !» Dernière précision, au cas où. JE m'en fiche. Je ne dis pas qu'il faut s'en ficher, ou même que j'ai raison de m'en ficher. Je dis juste que je m'en fiche. Et puis je dis aussi pourquoi je m'en fiche, mais ça c'est en conclusion du billet.

Notes

[1] et j'envisage le fait que ça s'explique par le fait que cet avis soit simplement idiot

[2] sûrement parce qu'avant la soutenance de la thèse, les articles pouvaient rester plusieurs mois dans mon dossier brouillon

[3] toujours la même source.

D'abord, il faut que j'entende par ce que je dis «bien». J'ai mis des guillemet, des «tm», parlé d'homologation, je dois l'expliquer. Plus jeune et longtemps, je ne m'étais pas vraiment posé de question sur ce qui était «bien», et à priori, différencier ce qui est bien de ce quî est mal semble assez évident. Par exemple, imposer la non-mixité selon des genres, par exemple, me semblait clairement mauvais - à part pour des raisons d'intimité ou de sport. Maintenant, j'aurai tendance à penser que ce n'est plus «mal», mais sans avoir de certitude à ce sujet.

Mais, parler d'homologation du «bien», aussi étrange que soit la formulation, n'est pas une moquerie de ma part. Cela cache une idée sérieuse. Étant donné que je n'ai ni le temps, ni l'envie de me renseigner à fond sur chaque sujet, je ne le fais pas. Alors à la place, j'accord ma confiance à quelques personnes et quelques sites. Confiance que je peux reprendre si je suis convaincu que ces sources se mettent à dire de véritable grosses bêtises. Mais que je ne reprend pas forcément si j'ai l'impression que parfois, je ne suis pas d'accord avec eux, mais qu'ils sont tous d'accord sur des trucs qui m'échappent. Je pourrai bien sûr imaginer que c'est moi qui ait raison, et qu'ils soient d'accord entre eux uniquement par un effet de conformité de groupe. J'y crois peu vu le temps que ces gens passent à débattre sur des points de détails qui parfois me paraissent peu signifiants. Et comme justement je ne connais pas le détail de ces débats, de ces luttes, des conséquences contre intuitives qu'il peut y avoirs, je ne pars pas du principe que je ne suis pas[1] plus intelligents qu'eux et accepte de suivre leurs jugement.

C'est exactement la même démarche que celle qui fait que j'accepte la physique quantique, alors que je n'ai en réalité aucune idée de comment il a été démontré que ce n'est pas n'importe quoi. Ça semble globalement accepté par la communauté scientifique, et même si ça me parait étrange[2], je l'accepte parce que je fais confiance à certains en qui j'ai choisi de croire, à défaut de me plonger dans les vrais explications et expériences.


Simplement, parfois, les gens en qui j'accorde ma confiance ne sont pas d'accord entre eux. Et si j'écoute les conseils de l'un, je déplairai à l'autre, car les demandes sont fondamentalement incompatible. Je vous donne deux exemples, le premier me concerne un peu, le second plus général[3].

Il m'a été plusieurs fois reproché, en commentaire sur mon témoignage d'IMS, ou même par des élèves, qu'on ne parle pas assez de transidentité. Et il y aussi des gens qui disent que les cis ne devraient pas débattre[4](entre nous, ou avec eux) des questions trans. Puisque la plupart des intervenants sont cis[5], on prend la place des personnes concernées. Il est d'autant plus grave que nous parlions à la place de personne concernées que, statistiquement, il arrive qu'on parle à des élèves non-cis. Or là, on arrive avec notre position d'autorité, et on leur parle de ce qu'ils sont. Pour résoudre ces deux contraintes, il y a une solution évidente: intervenir systématiquement avec des non-cis. C'est «évident» dans la théorie, car dans la pratique, il y a peu de non-cis qui sont prêt à intervenir avec nous[6]. Donc soit, nous, les cis, on se tait, et on pourra encore plus nous reprocher de laisser un pan de LGBT sous silence. Soit on parle de ces sujets, et on peut nous dire qu'on parlent à la place des personnes concernées. [7].

Maintenant un second exemple, avec une problématique plus général, «féministe» vs «pro-féministe»[8]:
Certain-e-s féministes expliquent - en résumé - qu'un homme «pro-féministe», est quelqu'un qui refuse de s'engager en se disant «féministe», et qui veut simplement se donner une bonne apparence en disant qu'il soutient, sans s'engager lui même. En général, il semblerait qu'une part importantes de ces personnes sont accusées d'être là surtout pour draguer les femmes féministes[9] et endormir les soupçons. Ou alors, si ce n'est pour draguer, c'est pour se faire connaitre, et, aidé par les privilèges d'hommes, se retrouver en avant dans ces associations, se faire du réseau, avec tout ce que cela peut apporter comme conséquence positive personnelle.

D'autres féministes expliquent qu'une personne «féministe» n'est pas uniquement quelqu'un qui a des bonnes intentions, c'est surtout quelqu'un qui mène des actions effective pour faire avancer la société dans le sens voulu par le mouvement. Et par ailleurs, les actions doivent êtres menées par les principales concernées, ici les femmes/non-hommes, et que pour ne pas voler la parole, un homme ne peut pas être féministe au sens fort du terme. À la place, il nous est proposé le terme «pro-féministe», pour dire «je vous soutiens, je suis avec vous, mais je reconnais que ce combat est le votre et je vous laisse la place».


Dans ces deux exemples, je sais que quoi que je fasses, il y aura des gens pour me reprocher. Ou en tout cas, que je lirai que ce que choisi n'est pas bien. Et souvent, ces gens auront des arguments raisonnable avec lesquels je suis globalement d'accord, pour m'expliquer que je me goure[10]. Et comme je dis dans l'intro de ce billet: je m'en fiche.
Oui, on me fait des reproches quoi que je fasse... et c'est tout. Je m'en fiche, car en vrai, ça n'a aucune conséquence. Ni sur moi, ni sur les autres d'ailleurs. Je prétend que ces actions sont faites dans un but, par exemple, celui de tenter de contribuer à baisser le tôt de mal-être, voir même de suicide, chez les (jeunes) LGBT+. Je prétend que ces actions ne sont pas faites juste pour avoir l'air «bien». D'autant plus que, concernant ces questions de ce qui est «bien» et «mal», je suis finalement mon seul juge[11], personne ne me donne de cookies ou de médailles, et personne ne peut donc me les retirer. Je pourrai me faire virer de mes associations, mais faudrait que je fasse de vrais grosses bêtises; ou alors que par miracle on se retrouve avec trop de bénévole pour le travail qu'on a a effectuer, et ça, je ne crois pas que ça soit possible.

Et enfin, quand bien même je considérerai que me faire reprendre et critiquer serait une conséquence négative en soit, quand bien même je serai dans une situation inextricable ou, quelque soit l'issue choisie, je suis critiquée... Et bien du haut de mes privilèges, je pourrai toujours dire que ça me donne un infinitésimal exemple de ceux que subissent les gens qui, pour cause de tel ou tel stigmate, se prennent à longueur de temps des exigences contradictoires, qui parfois leurs pourrissent sérieusement et considérablement la vie. Tout en gardant le privilège immense que je peux quitter cette situation à tout moment, puisque je suis le seul à m'imposer de tenter d'être quelqu'un de bien(tm).

Notes

[1] Avant relecture, j'avais oublié la négation. Concluez-en ce que vous voulez.

[2] It's human intuitions that are "strange" or "weird"; physics itself is perfectly normal.

[3] J'aurai bien eu un troisième exemple avec «les non-binaires» vs «Les gens qui considère qu'il faut supprimer le genre et donc détestent les non-binaires qui en rajoutent», mais ce débat serait beaucoup trop complexe pour être résumé dans ce billet. Outre le fait que j'ai un parti pris évident envers les non-binaires.

[4] ici le «débat» consiste principalement à leur expliquer qu'un homme trans, il faut lui dire monsieur. C'est loin des exemples donné par Melunaka dans son tweet. Mais c'est déjà un débat compliqué avec les classes.

[5] C'est moins vrai récemment

[6] Il serait intéressant de savoir pourquoi, mais ce n'est pas le sujet de ce billet

[7] C'est ce deuxième choix qu'on fait, parler à la place des personnes concernées, puisqu'on rapporte les témoignages de trans et qu'on répéte des informations qu'une associations trans nous ont communiqué et ont jugé intéressant qu'on passe aux élèves. Et donc parfois, sans le savoir,, on parle aux élèves de ceux qu'ils sont. Et on leur en parler parfois avant que eux-même sachent explicitement ce qu'ils sont. Avant qu'ils n'aient trouvé les mots à mettre dessus et avant qu'ils ne sachent que d'autres personnes partagent ce vécu.

[8] Moi j'ai choisi mon camp, je suis aucun des deux

[9] Si se dire «pro-féministe» servait uniquement à draguer, il me reste à comprendre pourquoi cette personne tiendrait à draguer des féministes, mais je suis trop loin de ces milieu là pour pouvoir saisir toutes les implications.

[10] et je me dirais «oui, tu as raison, mais», et je me trouve une excuse après le mais pour dire que ce que je fais est bien. Par exemple, je ne débat pas des questions trans. Ou plutôt, je n'en débat pas avec des trans. Je n'en débat pas pour décider pour les trans. Je n'en débat pas pour informer un public large (médias, conférence, chaîne youtube (et encore, là, je vais dire un «MAIS», j'ai parlé de ce sujet à la première nuit originale, mais pour ma défense, c'était pas prévu, et j'avais peur que personne de concerné ne soit présent et donne l'information qui me semblait indispensable d'être donnée)). Mais je ne refuse pas d'en débattre avec d'autres cis quand ma partie du débat consiste à donner des informations qui viennent elles-même d'associations trans, et qu'en plus ces information ne outent personne.

[11] Et de ce point de vue là, je suis envieux des croyants. J'ai l'impression que ça serait rassurant de se dire qu'il y a un vrai juge impartial à la fin.

Commentaires

1. Le jeudi 30 juin 2016, 08:57 par @now@n

Je me suis permis de partager parce que je trouve cet article intéressant.

(Quant à savoir ce qui pousse à draguer des féministes, je dirais bien pour déconner qu'elles sont meilleures au lit mais ce serait un commentaire essentiellement misogyne. Plus sérieusement certaines personnes fonctionnent selon des jeux de pouvoirs conscients ou inconscients et apprécient l'idée de "faire leur" une femme qui a affiché son indépendance (avec abus à la clé derrière). Je ne sais pas quelle est la proportion (1 sur 2, 1 sur 20, 1 sur 2000 ?) mais c'est un peu l'épouvantail du truc. Il y a aussi, comme tu disais, le côté "mise en avant et conséquences positives personnelles", dont la façade est aidé par une compagne étiquetée féministe (c'est un peu l'ami noir du milieu, m'voyez).)

Enfin je trouve cet article bien et je te remercie de l'avoir écrit.

2. Le jeudi 30 juin 2016, 09:20 par Isthun

Il est bien cet article. Il est vraiment bien et complètement point on, merci pour ça.

Effectivement, face aux critiques, une fois qu'on se souvient que ce que l'on fait, on ne le fait pas pour des cookies, la question du "bien" dans le sens "approbation sociale" se vide de son intérêt. "Personne ne me donne de cookies ou de médailles, et personne ne peut donc me les retirer." j'adore cette formulation.

Par contre, du coup, le concept du "bien faire" est ici essentiellement abordé par l'angle de l'approbation sociale. Or y a aussi la question du "est-ce que ce que je fais est bien" dans le sens où "est-ce que ça va avoir l'impact positif que je cherche à implémenter?". Mais là du coup... Comme tu l'as bien souligné, toute action, toute méthode, aura son efficacité et sa limite. Y a pas une seule solution en vrai, y en a une multitude avec leurs avantages et inconvénients respectifs. Comme dans à peu près toutes les situations existantes.

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