Non-mixité

J'ai vu passer, sur twitter, facebook, beaucoup de gens se moquant de certains «fachos» qui disent du mal de la non-mixité. Qui disent que la non-mixité est illégitime, raciste/sexiste, illégale[1]. J'ai vu retweeter[2], un phrase du style : C'est totalement inconcevable pour les blancs de ne pas être partout ? Alors, j'ai envie de répondre: oui et non. Oui, ça a été inconcevable pour moi. Non, ça ne l'est plus. Mais j'ai envie d'expliquer pourquoi ça l'a été - sans me faire l'avocat du diable, juste en expliquant quel était le raisonnement que je faisais à l'époque. Et aussi un peu de dire pourquoi ce n'est plus inconcevable, ce qui a changé.

Notes

[1] Je suppose que ce dernier point reste défendable. Après tout, on peut arguer que la loi est mal faite et non pas que la non-mixité est injuste

[2] mais je n'ai pas noté le tweet à l'époque et je ne le retrouve pas

Si tu ne sais pas ce qu'est la non-mixité, ou si tu ne comprend pas pourquoi c'est nécessaire, va lire la non mixité pour les nuls et les autres avant de lire mon billet stp. Je ne connais pas la non-mixité en pratique, puisqu'en tant qu'homme blanc valide et cis, il y a peu d'endroit officiellement non-mixité qui me concernent. Il serait donc absurde que je tente de faire une introduction à ce concept, et je partirai du principe que tu as une idée de ce que quels sont ces avantages[1].

C'est un exercice dangereux, car, bien sûr, je risque de dire des bêtises sans m'en rendre compte. Et je ne peux prétendre représenter «les blancs», juste représenté mon moi passé. Il est aussi possible que je ne dise que des évidences pour tout le monde et que je réponde à une question purement rhétorique. Mais je suppose qu'il était possible que, pour certains, les réunions non-mixtes soient une telle évidence qu'ils ne comprennent sincèrement pas pourquoi des gens pourraient s'en offusquer. Et si ces gens sont un peu comme moi, et apprécient de lire un point de vue opposé au leur quand il est expliqué, alors je pense que ce billet peut être intéressant.


Dans la théorie - un lieu merveilleux, la théorie, en théorie tout fonctionne bien - tout le monde peut aller partout. Enfin, aller partout dans les pays auxquels on a accès, et si on a l'argent se payer le voyage ou l'entrée du lieu qui nous intéresse. Mais si je ne peux pas m'installer en Russie ou au Canada sans demander certaines autorisations aux consulats, ce n'est ni une question de genre ni de race, juste une question de symétrie, la même qui fait qu'un russe ou un canadien ne peut pas s'installer en France sans les autorisations requise par notre pays.

Bon, il y a d'autres exceptions, je ne pouvais pas aller dans un autre collège que celui où la carte scolaire me mettait, mais c'était pareil pour les gens dépendant d'autres collèges, qui ne pouvaient pas venir dans le mien. C'était symétrique, et c'était une nécessité liée à un souci pratique de gérer je ne sais les 10 millions d'élèves de France. De même, je ne peux pas entrer dans les vestiaires des femmes, mais elles ne peuvent pas non plus entrer dans notre vestiaires. C'était encore symétrique et c'était aussi rendu indispensable par le besoin d'intimité[2]. Bref, l'important, c'est la symétrie.

Cette symétrie, c'est ce sur quoi la loi insiste de par la formulation des textes concernant les discriminations. Il n'est pas dit qu'il est interdit de discriminer envers les homos[3], il est juste dit, envers l'orientation sexuelle, réelle ou supposée. Il n'est pas dit qu'il est interdit de discriminer les femmes, mais en fonctions du sexe. Si un jour la discrimination se renversait et que les hommes ou les hétéros étaient les plus discriminés, ces groupes seraient aussi protégés par la loi. Et s'il y a des règles non symétrique, comme celles concernant le handicap, c'est qu'il y a de très fortes raisons intrinsèque qui laissent penser que cette discrimination ne peut pas se renverser.


J'ai un souvenir très précis qu'on m'ait expliqué qu'il était important de respecter les lois car ce sont les règles du jeu. Sinon, c'est comme si on essayait de changer les règles du jeu en cours de route, c'est pas juste pour les joueurs qui ne trichent pas. Ça fait longtemps que je réalise que l'héritage/l'argent familial est injuste[4], mais ces problèmes étaient indépendants de la couleur de peau ou du genre. S'il y a des restaurants dont le prix fait que seul des gens très riches peuvent se permettre d'y manger, il serait inconcevable qu'ils refusent de donner une table à quelqu'un à cause de sa couleur de peau ou de son genre, pourvu qu'il soit assez riche pour se payer le repas.

Mais justement, la symétrie que je réclamais plus haut n'est plus réclamée pour les questions de richesses. C'est tout le principe des impôts progressif et ISF qui font que les plus riches vont payer, non seulement plus en absolu, mais aussi en proportion. Le principe des bourses, des aides diverses, des cantines à taux variables, qui font qu'un coup de main sera donné aux moins riches - encore une fois, indépendamment des questions de genre ou de couleur de peau.

Dans cette logique là, déplorer que les chefs d'entreprise et les politiques soient majoritairement des hommes blancs me semblait aussi gênant que, par symétrie toujours, ceux qui dénonçait qu'il y aurait plus de voleurs chez les compléter avec la couleur de peau de votre choix. J'avais lu que la variable importante c'est qu'il y a plus de voleurs chez les pauvres, i.e. chez ceux qui ont besoin de voler pour (sur)vivre, que chez ceux qui ont déjà de l'argent. Et par symétrie, le problème concernant les patrons serait le fait qu'ils soient en majorité enfants de patrons.


Certes, je savais bien qu'il y avait quelques grands vilains racistes/sexistes, qui haïssaient et méprisaient les gens «différents», qui faisaient des cris de singe dans des stades de foot, qui battent leurs femmes. Mais, en quoi ça me concerne ? Moi même, je n'étais pas racistes. Qu'est-ce que je pourrai faire de plus ? À la limite, dire à quelqu'un que ce n'est pas correct d'utiliser une insulte raciste ou sexiste si jamais j'en ai le courage et que je l'entend dire devant moi.

À partir de ce moment là, où le monde est divisé entre raciste et non-raciste, j'aurais pu comprendre la non-mixité entre non-raciste. Ou entre non-sexiste. Mais rien ne permet de comprendre la nécessité de la non-mixité femme ou la non-mixité racisé. Ça n'aurait pas été inconcevable qu'il ait des réunions féministes[5] qui se retrouvaient sans homme, parce qu'aucun homme n'a eu l'envie d'y aller. Je ne pensais pas que les femmes soient moins objective, moins quoi que ce soit, et qu'elles aient besoin des hommes. Ce qui à l'époque m'aurait semblé inconcevable, c'est qu'il y ait interdiction à nous, hommes[6], d'y aller. De même qu'il m'était inadmissible de ne pas pouvoir me marier, même si je n'ai pas l'intention de le faire. Pour reprendre l'exemple des réunions de patrons, majoritairement homme blanc, ils sont peut-être non mixte de fait, mais si une femme racisée réussit aussi à devenir patron d'une grande boite, je n'imaginais pas de raison qu'elle ne puisse pas se joindre à ce groupe.


Ce dernier paragraphe est très manichéen, y a deux parties bien définis, en théorie. Et c'est lié une autre raison qui me faisait croire que la non-mixité était absurde. J'ai toujours connu les débats avec deux camps bien établi. Y a la gauche et la droite. Il y a les gens pour l'avortement et ceux contre l'avortement. On a fait des débats en Éducation Civique, Juridique et Sociale, et la classe se répartissait en deux camps. Je n'imaginais pas qu'il existe d'autres types de débats. Débattre entre gens d'accord, c'est refuser les idées des autres et se contenter d'entendre en boucle son opinion répété. Quelle est alors l'intérêt d'une discussion où tout le monde est d'accord ?


Ce billet a beaucoup utilisé le passé. Parce que je ne suis plus en accord avec les opinions que j'avais. Ce qui a changé depuis, c'est que j'ai la réponse à certaines questions que j'ai posé plus haut. Même si je suis sûr qu'il y a des tas d'autres arguments auxquels je n'ai pas pensé, mais le but de ce billet n'est pas de convaincre que la non-mixité c'est bien.

Qu'est-ce que je pourrai faire de plus ? Faire attention à ceux qui m'entourent, me dire que, statistiquement, si dans mon milieu professionnel, amical, associatif... il y a une grande proportion de gens similaires, ce n'est probablement pas un hasard. À titre personnel, accepter l'idée que le subconscient existe et qu'il peut être raciste/sexiste, car il a été dans une telle société, et que la bonne intention ne suffit pas à retirer tous les préjugés que la télé donne en montrant certaines personnes dans certains rôles.

Pour être un peu plus précis et reprendre la comparaison avec les jeux ci-dessus. Un jeu, c'est plus drôle de gagner quand on part à égalité. Or, des PNJ embêtent mes adversaires et pas moi. Je ne peux pas forcer les PNJ à m'embêter. Donc, si je veux un jeu équilibré, il faut une méthode pour contrebalancer l'action des PNJ. Forcément, ladite méthode aura un coût, et par équité, ça serait aux gens privilégiés de s'en acquitter.

En quoi ça me concerne ? Ça me concerne car il est probable que être blanc m'a aidé sur des tas de trucs sans que je m'en rende compte. Un exemple basique: je ne me prends pas d'insulte raciste. À la limite, j'ai eu UNE insulte xénophobe, quand j'étais au États-Unis et que des jeunes me reprochaient que Chirac ait posé son véto contre la guerre d'Irak. Mais rien que le fait que je sois capable d'avoir une anecdote sur cet événement marquant montre que ce n'est pas quelque chose qui m'arrive souvent.

De manière proche, si je porte la barbe[7], que je ne bois pas d'alcool, personne ne semble jamais avoir supposé que c'était pour des raisons religieuses. Donc ça me concerne car je n'ai pas à perdre de l'énergie à justifier mes choix.

Sinon, j'ai trouvé très rapidement une location à Paris, alors que j'ai entendu plusieurs propriétaires expliquer qu'ils refusent de louer à des gens de tel ou tel origine à cause de l'état où un locataire de cet origine a laissé l'appartement/parce qu'ils sont partis sans payer... Alors ça me concerne parce que le nombre de logement étant limité, j'ai augmenté la difficulté que les autres auront à avoir un logement.

Un exemple encore plus flagrant: je n'ai été contrôle qu'une fois par la police. Alors que je faisais un truc illégal[8], et je n'ai même pas eu d'amende. Et au vu des témoignages lus sur le contrôle au faciès, je doute qu'on ait tous une interaction aussi simple avec la police. Et donc en cas de problème je n'ai pas peur de porter plainte[9] ou de passer dire que j'ai perdu ma carte d'identité.

Quel est alors l'intérêt d'une discussion ou tout le monde est d'accord ? Tout n'est pas binaire. On peut être d'accord sur des grands principes, mais en désaccord sur des points qui ont l'air d'être des détails, mais qui sont néanmoins importants en pratique. Et puis, discuter entre gens ayant des bases communes permet d'aller plus loin, sans devoir ré-expliquer ces bases. Tout comme je fais mes conférences mathématiques pour des gens qui savent ce qu'est un raisonnement mathématique et pas pour les gens qui viennent dire «moi j'étais nul en math à l'école, ça sert à rien.»

Il y a bien sûr d'autres intérêts, mais ça reviendrait à expliquer les réunions non-mixte, ce que j'ai dit que je ne voulais pas faire, donc je ne vais pas m'amuser à répéter et déformer ce que j'ai lu ailleurs.


P.S. Je ne m'attende pas à ce que ce billet ait fait évoluer qui que ce soit sur la question de la non-mixité. Mais, j'avais lu sur un autre compte Twitter: Je n'écris pas pour faire changer les gens d'avis mais pour faire savoir à ceux qui pensent comme moi qu'ils ne sont pas seuls à le penser. Et cette phrase a été pour moi une Épiphanie, me faisant enfin comprendre pourquoi des articles féministes ne s'adressaient pas à un lectorat machistes.

Notes

[1] Pour le dire en langage militant, je vais tenter autant que possible d'éviter de prendre la parole des personnes concernées.

[2] qui perd du sens dans une monde non hétéro-centré, et qui est une horreur dès qu'on considère les non-binaires, voir les trans, mais à l'époque, je ne le voyais pas.

[3] La formulation «discriminer» est mauvaise. Après tout, selon la définition, en préférant un groupe de population, on discrimine ce groupe. Je ne sais pas comment dire «discriminer négativement» sans avoir une formulation lourde.

[4] Sans en tirer de conséquence pratique sur ma vie.

[5] Il semble que les comparaisons entre non-mixité racisée et la non-mixité femme pose problème. Néanmoins, je continuerai de la faire ici, car dans l'optique de ce billet, il n'y a pas de différence.

[6] Dire «nous» pour parler des hommes sera l'objet d'un prochain billet

[7] En vrai, j'ai perdu mon rasoir à Prague en octobre. J'ai jugé qu'il était trop cher de retourner le chercher, alors j'ai arrêté de me raser

[8] J'urinai contre un arbre dans la rue.

[9] Ce qui n'empêche pas de me prendre du victim-shaming et un refus d'enregistrer ma plainte - pour une infraction prescrite depuis, donc pas la peine de me dire qu'ils n'ont pas le droit de refuser.

Commentaires

1. Le lundi 9 mai 2016, 06:42 par Typhon

Peut-être pas lié directement à ton billet, mais il m'y fait repenser :
Un truc qui me frappe assez souvent dans le militantisme, c'est une espèce de croyance naïve implicite qu'on peut changer les choses simplement.

On nous dépeint un monde modelé par des forces structurelles ancrées dans l'inconscient, et ensuite on donne l'impression de le combattre en barrant des items sur une todo-list.

Je suis conscient que c'est un petit peu un strawman de ma part, dans la mesure où j'accuserais pas quelqu'un en particulier de croire quelque chose d'aussi naîf, c'est juste un truc qui peut ressortir de certains discours, en particulier quand twitter les contracte et les fragmente.

Typhon

2. Le jeudi 12 mai 2016, 01:45 par LCF, mal aux yeux

Mon cher Arthur R, Je tiens à te faire part de ces quelques remarques:

Dans le principe, l'absence de mixité et de gens différents sur certains points, c'est le replis sur soi et le communautarisme. Ce n'est pas nécessairement mauvais. Par exemple, un clampin qui se pointe en casquette/basquette/ jogging fluo ou en polo, en soirée gothique/métal, ça fait tâche.
Le soucis, ce serait de l'institutionnaliser. Je rappelle que si la république dans laquelle nous vivons promeut la mixité, c'est pour limiter et éviter les dérives racistes et l'extrémisme qui naît du communautarisme, ce n'est pas juste pour déconner.

Suit une petite liste de rectifications grammaticales et orthographiques, car J'ai pour toi de la compassion en te lisant:
"certaines autorisation"
+s

"une nécessité lié"
*liée

"ces groupes seraient aussi protégé"
*protégés

"les lois car c'est les règles du jeu"
*car ce sont

"ces problèmes étaient orthogonaux à ceux de la couleur de peau ou du genre"
*étaient indépendants de la [...]

"la symétrie que je réclamais plus haut n'est plus réclamé"
*réclamée

"le problème concernant les patrons seraient"
*le problème [...] serait

"qu'ils soient en majorité enfant"
*enfants

"quelques grand vilains"
*grands

"j'aurai pu comprendre"
*j'aurais

"nous, homme"
*hommes

"'une discussion ou tout le monde"
*où

"la réponses"
-s

"gens similaire"
similaires

"ladite méthode aura un coup"
*coût (pense à l'anglais <i>cost</i> et au circonflexe qui remplace le s).

"aux gens privilégié de l'acquitte"
*privilégiés
*s'en acquitter

"en ce qu'il est probable que être blanc "
*car il est probable qu'être

" je ne me prend"
*prends

"Chirac et posé"
*ait posé (ou *eut posé)

" j'ai entendu plusieurs propriétaires expliqué"
*expliquer

"ils sont parti"
*partis

"témoignages lu"
*lus

"je n'ai pas peur à aller porter plainte"
*peur de porter plainte

"Quelle est alors l'intérêt "
*Quel

"être en accord"
*d'accord

"du détail"
*des détails

"qui sont néanmoins important"
*importants

"ré expliquer"
*ré-expliquer

"d'autres intérêt"
*intérêts

"ça reviendrai"
*reviendrait

"ait fait évolué"
*évoluer

"qu'ils ne sont pas le seul"
*pas seuls

" La formulation «discriminer»"
Scriminer. De rien.
En français normal et contemporain, quand on discrimine des gens, on leur en met plein la gueule. Il y a déjà l'idée de mauvais traitement. Pas la peine de changer.

" on discrimine se groupe"
*ce

"les comparaison"
*comparaisons

"alors j'ai arrêter"
*arrêté

"Ce qui n'empêche pas de me prendre du victim-shaming"
*d'être persécuté

Mon cher Typhon, Je tiens aussi à te faire part des points suivants:
De manière générale, oui, Je suis assez d'accord.
"en barrant des items sur une todo-list."
*des points/des entrées sur une liste

"un petit peu un strawman"
*que c'est un peu forcer le trait

"naîf"
*naïf

"twitter"
*Twitter

3. Le jeudi 12 mai 2016, 07:34 par Arthur

Merci pour les corrections.

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