Réflexion sur la question geek

Je me demande si je suis geek. En tout cas, je viens de finir la thèse de David Peyron, La construction sociale d’une sous-culture: l’exemple de la culture geek. et ça m'a valu quelques réflexions que je crois bon de partager. Ce n'est pas un commentaire de la thèse, car je ne crois pas que vous ayez lu ces 488 pages de sociologie[1], même si certains seront peut être intéressé par lire l’œuvre d'un geek des geeks.

Je ne dis d'ailleurs pas que cette oeuvre soit la meilleure à lire sur le sujet, il se trouve que je suis tombé sur David à citegeek et ait été intéressé. Les circonstances seraient autre, j'aurai peut être eu une autre porte d'entrée sur le sujet. Elle contient plusieurs réflexions intéressantes, ça me suffit. Je sais juste que par rapport à Geek la Revanche, que j'ai aussi lu, elle est intéressante parce qu'elle contient une vraie réflexion, et pas une simple énumération de sujet disparate[2].

De toute façon, la thèse fait un résumé des avis de ceux qui ont été interviewé - je me dis d'ailleurs que j'aurai probablement pu être interviewé et tenir beaucoup de ces propos - donc je devrai pas répondre à la thèse, mais aux "geeks" qui parlent dedans et avec qui je ne suis pas d'accord. Je pense d'ailleurs que ça influera ma manière de me tenir avec ce docteur quand j'aurai l'occasion de prendre un verre avec lui. Mais comme souvent les geeks réfléchissent sur eux même, ça ne déparera pas tant que ça.


Le mot geek a beaucoup évolué. Et pas seulement depuis 2 ans ou une décennie. J'ai été surpris d'apprendre qu'à la base, ça désignait des gens tuant des poulets en mangeant leur cou. Et qu'autre fois le mot anglais "geek" était traduit par "plastron". Donc vous m'excuserez j'espère de ne pas tenter de définir ce mot ici.

Une remarque qui revient souvent sur l'impossible définition du mot geek, c'est la quantité de sujets qu'un geek doit aimer. De Star Trek aux mangas. Je veux avancer une explication qui n'est pas nouvelle, mais peut-être pas assez mise en avant à mon goût.

Dans tous les cas, si j'aime rencontrer d'autres geeks, même s'ils sont geeks de sujets que je ne connais pas bien, c'est parce que j'aime leur façon de penser. Pouvoir pinailler sans qu'on me dise que je me prend la tête pour rien, savoir que si j'ai une erreur de raisonnement, même subtile, on pourra me corriger. Le fait de connaître très bien un sujet, qu'il soit technique ou imaginaire, serait alors une sorte de rite de passage, une preuve que l'individu est capable de penser d'une manière qui m'est proche, ce qui ne sera pas le cas de la majorité des gens. En ceci la matière dans laquelle on est geek peut être un prétexte et non une fin en soit. Ce qui ne retire rien du tout à l'intérêt qu'on porte à cette matière.

Pour faire une comparaison, se demander comment on peut mettre autant d'intérêt différents sous le seul terme "geek" peut être aussi absurde que se demander comment on peut utiliser le même nom de "docteur" pour un sociologue que pour un informaticien. Simplement, nous sommes tous capable de faire des efforts de réflexion, de créations, et de rédaction, sur une durée assez longue.

Un geek, c'est entre autre quelqu'un qui s'intéressera aux mondes imaginaires. Une question posée est: comment définir un monde imaginaire ? En quoi est-ce que Mme Bovary est moins imaginaire de Coruscent ? Personnellement, il me semble que la plus grande différence est que je ne serai pas surpris de rencontrer Mme Bovary, je croise tous les jours des nouvelles personnes. Je serai surpris de découvrir Coruscent car je ne voit jamais de nouvelle planète. En cela un imaginaire est plus crédible que l'autre.

Partir dans un monde imaginaire, ça peut être parce que notre monde est ennuyeux. Pour citer approximativement Pierre Dac: Tout va pour le mieux dans le meilleurs des mondes, mais je regrette que les choix soient si limités. Ennuyeux ? Pourtant j'ai envie de citer Feynman, le tome 1 de ses cours de Physique: "Quels hommes sont ces poètes qui peuvent parler de Jupiter lorsqu'il prenait la forme d'un homme, mais qui se taisent si c'est une immense sphère de méthane et d'ammoniaque en rotation ?". J'ai donc presque envie de dire, plus j'en connais sur notre monde à nous, moins je comprend ce besoin.

Que le monde soit imaginaire ou pas, un intérêt reste: connaître le plus de détail possible sur le monde. Moi même, au collège j'ai lu tout ce qu'écrivait Tolkien et je voulais connaître toute l'histoire de la Terre du Milieu. Une fois qu'on connaît tout, il faut essayer de deviner et compléter ce qui n'est pas dit, pour remplir les trous, car un univers n'est jamais complet[3]. En particulier, il faut chercher les inévitables incohérences, et les justifier, que l'univers complété soit autant cohérent que possible. Ce qui rapproche d'ailleurs du travail du scientifique[4] qui ne peut qu'émettre des hypothèses et espérer que tout ce qu'il découvrira concordera.

En ceci odieux connard et ses spoilers est un vrai geek, même si je doute qu'il se qualifie comme tel. C'est d'ailleurs marrant, un autre gars drôle que je qualifierai de geek, c'est Yacine - il a quand même mis une borne d'arcade dans l'entrée de son théâtre et parle de sujets connotés geeks dans son spectacle [5], et lui aussi se moque des geeks. Je me demande pourquoi je ne connais personne qualifiant son œuvre de geek.

Nous aurions donc un énorme intérêt pour les énormes univers, que ça soit la terre du milieu, celui de Star Wars, ou Donjon et Dragon, car il permet de toujours plus se plonger dedans[6]. Alors je ne suis plus geek, surtout depuis que j'ai découvert Borges. Pour le paraphraser, je ne suis plus intéressé par lire des tomes et des tomes, pourquoi raconter des histoires si longues quand on peut simplement avoir l'essentiel en racontant l'histoire d'une histoire ?

Une question gratuite, le dernier bar avant la fin du monde est qualifié de bar geek. Quand j'entendais quelqu'un parler de "bar gay", je lui demandais systématiquement pourquoi le reste du temps il ne précise pas "bar hétéro" [7]. Alors si je veux être cohérent, pourquoi quand quelqu'un parle de bar geek, je ne lui demande pas pourquoi il ne parle jamais le reste du temps de bar noob ?

Une autre question, un geek aime créer son univers, ou au moins créer son coin dans un univers plus grand. Typiquement, c'est ce qui se fait avec des légos, avec les jeux de rôles, avec la programmation, ou avec des jeux vidéos où des œuvres se construisent. Le geek aime aussi signaler qu'il est geek via son t-shirt. En mélangeant cela, pourquoi si peu de geek créent leur t-shirt à eux ?

Notes

[1] Si vous voulez la lire, sautez la partie méthodologie, elle me semble fort peu intéressante

[2] même si ça peut être intéressant de connaitre l'histoire de tel objet ou monde geek, et d'avoir des pistes de lectures et de vidéos pour les jours où on cherche quoi faire pour passer le temps.

[3] Quoi que je ne sois pas d'accord avec cette assertion. Je considère que la description de Flatland, en particulier de son sous-univers de dimension 1, est totale.

[4] non mathématicien

[5] que je vous conseille fortement de voir

[6] la comparaison tarte à la crème serait alors de parler de fractales, on regarde de plus en plus de détails et on ne s'arrête jamais

[7] alors que paradoxalement, un couple gay a plus de chance d'être mal vu en "bar" qu'un couple hétéro dans un "bar gay"

Commentaires

1. Le dimanche 30 juin 2013, 08:18 par Subbak

Euh "noob" n'est pas censé être le contraire de "geek"... Ça n'est pas parce que c'est un thème utilisé par _des_ geeks (les gamers) pour désigner des gens qui ne font pas (encore) vraiment partie de leur milieu que ça ne s'applique pas à certains geeks, ou que ça s'applique à tous les non-geek (si quelqu'un n'essaie jamais de jouer, comment peut-il être noob ?)

Sinon, tu devrais corriger l'orthographe de Coruscant avant de te faire étriper par une horde de fans de Star Wars...

2. Le dimanche 30 juin 2013, 18:03 par LCF

"pourquoi quand quelqu'un parle de bar geek, je ne lui demande pas pourquoi il ne parle jamais le reste du temps de bar noob ?"
La division Eux/Nous, et la Normalité.
Nous, c'est toi et tous les gens que tu reconnais appartenir à un groupe social, culturel, et caetera. Eux, c''est les autres.
-Si c'est Nous les plus nombreux, c'est Nous la référence, la norme, la définition de ce qui est normal. Pas besoin de vocabulaire particulier pour ce qui est banal. Seul ce qui est différent, inhabituel, est soumis à des adjectifs supplémentaires.
-A l'inverse, si c'est Eux la norme, Nous est une minorité, et on pourra avoir tendance à coller des qualificatifs sur ce qui Nous est propre, pour le différencier, le rendre spécial, en tirer orgueil et identité.
Je note quand même "bar noob".
^^
"pourquoi si peu de geek créent leur t-shirt à eux"
Etre créatif, c'est fatiguant. Le Marché propose déjà tout pleins de vêtements avec des trucs cools dessus. La plupart des gens ne se poseront même pas la question.
La Paresse est une force qui n'est pas très loin, en terme d'importance, derrière l'Interaction Forte et l'habitude.

3. Le dimanche 30 juin 2013, 20:40 par Arthur RAINBOW

Je n'ai pas trouvé de meilleur terme à opposé à "bar geek". De toute façon, ce terme est déjà un oxymore en soit, car ça consiste à parler de geek qui sortent de chez eux (et en ça, je suis très admiratif du dernier bar). En plus, j'ai déjà vu des programmeurs parlé d'autres programmeurs qui ne maîtrisent pas leur langage de "noob".

Je comprend la notion de "normal", même si j'aurai plutôt dit "majoritaire". Ma question sur les bars noobs était purement réthorique. Pour moi, l'important c'était de (me) signaler mon incohérence (ce qui est une chose importante pour un geek). 

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