De la comparaison de groupe d'humains
Par Arthur Milchior le samedi 4 février 2017, 01:27 - Minorité - Lien permanent
Je crois que je vais de méta en méta. D'abord je parle de trucs qui ne m'intéressent pas. Maintenant je vais parler de la manière de parler de ces trucs qui ne m'intéressent pas. Plus spécifiquement, de l'usage correcte des comparaisons dans une argumentation. Pas correcte au sens où la comparaison compare des trucs comparable. Correcte dans le sens que la comparaison ne fasse pas de dégâts. Qu'elle amène le débat dans le sens voulu par celui qui l'utilise. Ce n'est pas une réflexion finie, je serai donc particulièrement avide d'avis en commentaire, venant de gens ayant réfléchi à ces question; la comparaison a l'air très dangereux comme outil, et que je ne le maîtrise pas vraiment. Mes exemples ici vont être des comparaison de discrimination. Et comme je ne suis pas concerné par beaucoup de discrimination, je prendre des groupes auxquels je n'appartiens pas en exemple, j'espère néanmoins le faire de manière correcte et ne rien mettre de vexant pour les groupes mentionnés. Sinon, au minimum, j'aurai montré par l'exemple pourquoi l'outil est dangereux.
Comparer deux groupes dont on voit une similarité
L'exemple que je vois le plus souvent de comparaison dangereuse consiste à attaquer la consommation de viande pour des raisons éthiques. Plus précisément, comparer les éleveurs aux propriétaires d'esclaves[1]. Le souci c'est qu'une comparaison, ça se file, et la suite logique est de comparer les populations victimes de l'esclavagisme aux animaux. Et vous savez qui comparait les esclaves aux animaux ? Les esclavagistes.
Certes, dire qu'un esclavagiste a fait dit quelque chose ne rend pas la chose mauvaise. Peut-être que des esclavagistes ont dit à leurs enfants de se brosser les dents après les repas après tout. N'empêche, tenir un discours similaire[2] à celui des esclavagiste, à priori, ça ne semble pas être une bonne idée. Pour dire ça autrement, les animaux étant considéré en général comme inférieur à l'homme, la comparaison est néfaste pour ceux comparés aux animaux. On pourrait comparer ça à la loi de conservation du mouvement, si ça monte le groupe le moins bien considéré, ça descend le groupe le mieux considéré.
Cependant, ce n'est pas toujours aussi simple que ça d'argumenter contre cette comparaison. Elle est parfois faites par des anti-spécistes, qui disent ne pas faire de différence entre les animaux non-humains et les humains. Et dans ce cas l'argument précédent ne marche plus tel quel. En supposant l'anti-spéciste de bonne foi, alors dans sa tête, cet argument n'a pas vraiment de raison de poser problème. Ce à quoi ma réponse serait que, s'il cherche à convaincre, alors l'auditeur n'est pas déjà convaincu. Donc l'auditeur entendra quand même une comparaison avec un groupe que l'auditeur pense inférieur. Et une fois que l'orateur sait que l'auditeur entend ça, ça peut commencer à avoir l'air d'être une très mauvaise idée.
Pour dire ça autrement, pour un anti-spéciste convaincu, accepter l'idée que la comparaison soit problématique suppose de se mettre à la place de son interlocuteur pas encore convaincu. Ce qui ne se fait pas toujours naturellement. Ce qui peut être dur à faire quand l'autre a une opinion qui nous est totalement incompréhensible. Et de toute façon, une fois l'interlocuteur convaincu, que toute la terre sera convaincu, l'argument ne devrai plus être problématique... Par contraposée, et c'est là que le problème arrive, si l'orateur accepte que cette comparaison est problématique. S'il accepte que cette comparaison restera problématique. Il accepte implicitement que l'interlocuteur ne sera peut-être pas convaincu.
Pour résumer user de la métaphore entre deux groupes opprimés[3], si un des groupes considère que l'autre lui est inférieur - Ou juste considère que les oppresseurs pense que l'autre groupe est inférieur - alors la comparaison fera des dommages[4]. Et donc, la seule solution pour pouvoir faire cette comparaison, c'est d'accepter de faire que les personnes qui ne partagent pas ton avis - ici l'anti-spéciste - soient insultées.
Réfuter une comparaison avec un groupe qu'on n'aime pas
Le problème du paragraphe différent, qui dit de ne pas comparer, c'est que cet argument va à double sens. Si un groupe refuse d'être comparé à un autre, ça montre justement qu'un groupe considère que l'autre lui est inférieur. Ainsi, il y a bien des années, j'avais été choqué quand j'ai vu que GayLib, ex-cercle de réflexion LGBT[5] de l'ex-UMP, expliquait tout ce que l'UMP faisait pour, les homos, ... les handicapé, .... À l'époque, je trouvais ça intolérable, car je comprenais qu'ils disent qu'être homo et être handicapé c'est la même chose ! Aujourd'hui, je réalise que, d'une part, ça peut effectivement être un handicap pour certaines carrière - mais ce n'est pas dans ce sens qu'ils employant ce mot. D'autre part que cette réaction montre que j'avais internalisé que, être handicapé, c'est quelque chose d'honteux. Si ce n'était pas honteux, je ne devrai pas avoir de problème à ce qu'ils fassent cette comparaison. Je pourrai avoir des problèmes à croire à la véracité de l'affirmation de Gay Lib, mais ce n'est pas vraiment le problème que j'avais à l'époque.
Aujourd'hui, où je ne crois plus qu'il y ait quoi que ce soit d'honteux à être handicapés, je n'apprécie pas ce que j'ai pensé à l'époque. J'en conclue donc qu'il est aussi dangereux de vouloir faire des comparaisons que de les refuser.
Comparaison et intersection
Une autre raison pour laquelle les comparaisons semblent évitée en milieu militant, c'est que les discriminations se mélangent. Le principe de l'intersectionalité, c'est de dire que le sexisme/racisme/homophobie/handiphobie/polyphobie... ne sont pas vécue indépendamment les uns des autres. Les remarques polyphobes ne seront pas les mêmes pour un homme - le tombeur - que pour une femme - la salope, mot que se sont justement rapproprié les auteures de la salope éthique. Ça ne sera pas vécu pareil pour un homo - infidèles par nature - que pour un hétéro - un fantasme classique. Ou encore pas les même pour un blanc - le fameux ménage à trois français - que pour un noir ou arabe[6] - qui n'aura pas su s'intégrer. Or, en général, la comparaison nécessite de s'intéresser à deux groupes totalement distincts. En effet, comment comparer quelque chose qui se trouve dans l'intersection des groupes, faudrait-il le considérer en tant que membre d'un groupe, ou de l'autre ?
Pire: les phrases du style «X est le nouvel Y» ! Ça indique que la discrimination envers Y a disparu. Or, c'est pas le cas[7]. Et, c'est une chose de dire qu'une cause nouvelle est importante, c'est une chose beaucoup plus égoïste d'essayer, pour ça, de prendre la place d'une autre cause, qui est déjà reconnu, même si elle ne nous intéresse pas.
De manière générale, une remarque que j'ai régulièrement lu, c'est de ne pas prioritariser. On peut choisir de s'engager pour une cause que pour une autre, ça ne signifie pas que l'autre cause est moins importante. Il me semble que c'est du bon sens. Et même si ça n'en était pas, ça évite qu'on nous dise que notre cause n'est pas importante, et donc qu'on se mette les bâtons dans les roue les uns des autres. Il y a déjà assez de monde qui nous en met comme ça éviter les guerres intestines aux activistes[8].
Un gros souci que je vois, lié au fait qu'ils soit mal vu de comparer des groupes opprimés, c'est que parfois, ça interdit de questionner pourquoi, dans des situations similaires, des groupes sont traités différemment. Il peut y avoir des raisons totalement légitimes, venant de détails tellement infime qu'il n'est, en général, pas pertinent de les mentionner.
L'exemple le plus flagrant que j'ai, c'est Rachel Dolezal, une femme blanche qui s'est fait passé pour noire et a eu une position importante dans une association de défense des gens de couleurs. Durant 9 ans, elle s'est fait passer pour noir, il ne s'agit donc à priori pas d'une passade, c'est pas exactement un black face de halloween. C'était, si je comprend bien, sa manière de se présenter en société. Selon les sites avec lesquels je suis en général en accord, il est totalement inadmissible de comparer la situation de Mme Dolezal avec celle d'une femme trans. Ainsi, dans Why Rachel Dolezal’s Fake ‘Transracial’ Identity Is Nothing Like Being Transgender – Take It From a Black Trans Woman Who Knows, Mme Dolezal se fait traiter de menteuse, et l'auteur, une femme trans noire, écrit: «As a trans woman, I don’t like being compared to someone who’s a liar. I am not being dishonest by being who I am today.» Dans l'article attaquant[9] Dolezal, si les mots races sont remplacé par les mots genre, on obtient les attaques transphobe les plus classiques. L'auteur en est consciente[10], mais ne répond pas vraiment à cette remarque, puisque, encore une fois, en remplaçant race par genre dans sa réponse, on retombe sur une attaque transphobe classique.
Je tiens à répéter, je ne dis pas que Dolezal avait raison de faire ce qu'elle a fait, que c'est acceptable etc... je dis juste que j'aimerai comprendre pourquoi ça ne l'est pas, à partir de raisonnement qui ne sont pas auto-référentiel. Et de préférence qui ne soient pas non plus des référence à l'appropriation culturelle - qui est l'autre défense que j'ai vu - et qui, en filant la comparaison, seraient comme faire référence aux privilèges masculin d'une femme trans.
Comparaison et opposé
Le dernier type de comparaison qui me pose problème, est la comparaison entre un groupe et son «opposé». Entre un couple hétéro et un couple homo. Entre une relation mono ou une relation poly.
Par exemple, j'ai parfois entendu parler de la complémentarité du couple hétéro. On m'a demandé si ça ne me manquait pas quand j'étais avec un homme. Plus récemment, au café poly, quelqu'un a dit qu'après des années de vies commune les couples atteignaient une complicité. En se dispersant, en pouvant accorder considérablement moins de temps aux relations puisqu'il y en a plusieurs, est-ce que, par comparaison, on ne regrette pas cette complicité. En général, la question est de la forme «Ne regrettes tu pas tel avantage qu'à le groupe majoritaire». Et j'ai du mal car j'ai l'impression que, la question sous-entendu est: pourquoi ne rejoints-tu pas le groupe majoritaire ?[11]$
Supposons que mon interprétation soit, au moins en partie, valide. Dans ce cas, ce que me gène, c'est que ça sous-entend qu'on a le choix. Le choix d'être homo ou pas. D'être poly ou pas. On a des choix, on peut choisir de l'assumer, de le dire, de le vivre, ou de le cacher, de l'ignorer, etc... mais il semble assez couramment admis qu'on ne choisit pas de qui on tombe amoureux, qui nous attire. Et même si certains se posent explicitement la question, je ne crois pas avoir entendu de gens dire qu'ils ont choisis le fait de vouloir être mono. En tout cas, je peux affirmer que je n'ai pas choisi d'être poly. C'était simplement, soit ça, soit être aromantique.
De mon point de vue, dans tous les cas, la réponse correcte aux questions «tu es Y, ne regrettes tu pas d'être Y parce que ça implique P, qui est une chose regrettable», n'est pas de nier en bloc la pertinence de la question. Même si, par simplicité, pour se rassurer entre nous, on peut se dire que c'est plus simple d'ignorer la question, qu'elle est absurde et qu'il ne sait pas de quoi il parle[12]. Je doute qu'il y ait en vrai UNE complémentarité, je doute encore plus qu'il y ait statistiquement plus de complicité chez les monos que chez les polys. Mais je ne sais pas. Je me prétend scientifique, je n'ai pas envie de dire que quelque chose est faux car ça ne me plaît pas, sans avoir sérieusement réfléchi à la question. Et, outre que le travail de sociologie est ardu, je ne peux pas tester moi même 20 ans de couple mono puis 20 ans de polygamie pour comparer scientifiquement.
Bref, pour moi, la seule réponse que je conçois, c'est: quand bien même ces différences seraient vrai, elles ne sont pas importantes. J'accepte temporairement l'hypothèse que être uniquement en relation avec A pourrait encore augmenter notre complicité. Mais même sous cette hypothèse, rompre avec B, C et autre me parait un prix beaucoup trop grand à payer pour gagner cette complicité. Parce que si je suis honnête, c'est quand même le mode de fonctionnement qui me va le mieux, et que me prétendre mono serait autant mentir que me prétendre hétéro.
Et, ensuite, seulement ensuite, je pourrai rajouter un détail sur sa question. J'ai encore plus de mal à croire à l'existence d'une potentielle complicité basé sur un mensonge. Pourtant, se renier, refuser d'accepter et de vivre ce qui nous convient pour ressembler à la norme, j'appelle ça un mensonge. On continue d'admettre l'hypothèse qu'il y aurait en moyenne moins de complicité chez les poly que chez les monos[13]. Il n'empêche que je ne suis pas une population générale. À titre personnelle, je pense que j'aurai beaucoup plus de complicité dans une relation poly que dans une mono.
Notes
[1] Cf, par exemple, Making a 3ème spectacle, épisode 3, de l'humoriste Dan Gagnon.
[2] C'est curieux le hasard, je suis justement en train de faire une comparaison.
[3] je dis bien deux groupes, et pas un. Car implicitement, l'orateur prend le parti que «l'esclavage, c'est mal».
[4] C'est ce que je tentais d'expliquer dans Trois étapes de la déconstruction. Quand on pense une chose peu courante, même si notre interlocuteur le pense aussi, il faut réaliser qu'il pensera probablement qu'on ne le pense pas.
[5] Gay=LGBT c'est bien connu. Bon, je peux rien dire, je suis membre de SOS Homophobie
[6] j'ai jamais vu de témoignage de gens d'autres couleurs à ce sujet, donc j'éviterai d'inventer ce qu'ils entendent
[7] Pendant des années, pour Y=gaucher, j'avais cru que c'était le cas. J'ai malheureusement désenchanté.
[8] Sauf bien sûr si les militants sont en oppositions fondamentale, comme celle qu'il y a entre les défenseurs du mariage pour tous et de la PMA, et les membres de la manif contre tous, qui sont, après tout, eux aussi des activistes.
[9] Je parle d'attaque, parce que mentionner une procédure contre Dolezal dans ce billet semble être totalement hors sujet, et ne je vois pas ce à quoi ça peut servir pour appuyer le propos de l'auteur, à part en affaiblissant le parti de Dolezal.
[10] To be honest, this accusation really doesn’t surprise me, because a lot of people seem to think, that trans people transition to fool the people around them.
[11] Remarquez qu'il y a un test simple qui infirmerait mon hypothèse. Si la question est posé aux gens ayant un handicap physique visible, alors j'interprète mal. Car j'imagine mal quelqu'un suggérant à une personne qu'elle devrait abandonner son handicap vu que ça semble physiquement impossible. Remarquez la précision «physique visible», précision malheureusement rendu nécessaire par ceux qui accusent les gens ayant des handicaps invisible ou mentaux d'exagérer, de bluffer, de profiter...
[12] ce qui est pourtant le cas, il faut bien le reconnaître.
[13] Comment on mesure ça ?
Commentaires
Note 11 : Est-ce que tu proposes comme solution d’utiliser une comparaison, dans l’article où tu t’interroges sur la légitimité des comparaisons ? Comme les situations des personnes handicapées et des personnes gay ou poly est complètement différente, pourquoi est-ce que cette comparaison serait-elle valable ?
(tapé sur un téléphone, je me suis relu, mais des fôtes peuvent subsister...)
J'ai l'impression que tu englobes plusieurs figures de style dans le mot comparaison, mais que (paradoxalement) aucune n'est une comparaison mathématiques (liée à un ordre).
En vrac (mes souvenirs d'analyse littéraire commencent à être loin un peu...), Il me semble que tu amalgames, volontairement ou non, l'analogie, le parallèle et la métaphore.
De mon opinion (je ne prétends pas avoir raison, juste d'exprimer/expliquer mon point de vue...) le cas du parallèle (souligner les similarités entre deux situations afin d'appliquer à une situation 1 les propriétés de la situation 2), est, en contexte, la seule figure de style acceptable dans le cadre d'un argument faisant appel à la raison, puisqu'il demeure factuel. Et je trouve ta réflexion sur ce point très intéressante (je fais référence à la réflexion présentée dans le la dernière partie de ton article).
L'analogie (exploiter le parallèle pour remplacer la situation 1 par la situation 2 dans l'argumentaire) revient à mon sens déjà à un appel à l'emotion. Le problème de l'appel à l'emotion et qu'il est difficile de prévoir son impact en dehors du contexte précis de son utilisation (comme tu l'explores dans les deux premières parties de ton billet). À mon sens, au delà de risquer d'insulter /abaisser (ou d'être compris comme si) un des groupes, tu prends également le risque de repousser l'interlocuteur, en générant une réponse émotionnelle que tu n'avais pas prévu. Ou encore, si ton argumentaire est dans une forme un tant soit peu diffusable (écrit, digital, etc.), tu prends le risque qu'il soit déformé et utilisé pour t'attribuer des opinions que tu n'as pas ou pour ostraciser le groupe que tu essayes de défendre et polariser le débat. Ce qui, à mon sens est complètement contre-productif: Ton but est de rejoindre pour convaincre ou au moins echanger, pas de contribuer à la polarisation ambiante...
En dernier point, la métaphore revient à substituer une situation 1 par une situation 2 dans l'argumentaire afin d'utiliser la seconde situation à titre d'exemple. Par rapport à l'analogie, le parallèle est souvent perdu ou implicite, et parfois même forcé ou ténu. La métaphore à une valeure factuelle quasi-nulle et, à mon sens, rarement utilisé efficacement à des fins de rapprochement des parties opposées dans l'arguement.