6 ans après les IMS, quelques souvenirs qui restent en tête

Ça fait 6 ans que j'ai arrêté de faire des interventions en milieu scolaires pour parler de LGBTphobies. Sans raisons spécifiques, j'ai envie de lister les moments qui me restent en mémoire tant d'années après. Je ne suis pas retourné lire les témoignages, les comptes-rendus, les questionnaires, ou même le docu-fiction, ça sera donc dans un ordre aléatoire.

Le souvenir le plus fort, c'était le seul couple d'élève, ouvertement homo, que j'ai croisé en 6 ans. Au lycée auto-géré de Paris. Quand j'ai demandé aux élèves comment ils réagiraient si, plus tard, ils étaient parent, et qu'un de leurs enfant leur disait être homo, question qu'on posait quasi-systématiquement, un des deux garçon a dit qu'il pleurerait, parce qu'il ne voudrait pas que son enfant subisse ce qu'il a subit. Je n'ai jamais exactement su ce qu'il a subit, j'imagine que c'était avant ce lycée, puisque il semblait bien accepté de ses camarades de classes, et vu les réponse, le lycée semblait assez queer-friendly. Même qu'on y a croisée une élève non-binaire qui nous a parlé du fait d'être fan de Mrs Yéyé[1].

Dans un style similaire, j'ai souvenir, trois ans après avoir finit les IMS, avoir croisé à un munch une personne qui m'a dit que j'avais fait une IMS dans sa classe, et c'est ce qui a permis à sa copine de découvrir le concept de transidentité, et de commencer à se questionner, avant de finalement transitionner.

Il y a pas eu tant d'élèves que j'ai su être LGBT. On a eu un élève de 3ème qui a fait un CO bi durant notre IMS, la classe en avait rien à faire. Un autre, quand on demande "comment vous réagiriez si un de vos amis vous disait être homo" répondrait que s'il est mignon, il le draguerait. On a vu un couple de fille qui semblait se tenir la main discrètement, et très au courant des questions LGBT, donc on s'est questionné entre intervenants, sur le chemin du retour, mais comme elle n'ont rien dit, on ne leur en a pas parlé. On a eu souvent des élèves demandant des conseils de bédé ou romans avec des persos homo. Des documentalistes aussi, d'ailleurs.

J'ai recroisé, pour la fermeture du local historique du mag, une intervenante. Elle me dit qu'on a fait des dizaines d'interventions ensemble, je n'ai aucun souvenir d'elle. J'ai une mauvaise mémoire, je ne suis pas physionomiste, mais vu l'importance qu'ont eu ces interventions dans ma vie, ça m'a sincèrement attristé.

J'ai vu les interventions passé d'un truc très hétéro-centré. Littéralement, quand je suis arrivé, le responsable IMS disait au classe "on va supposer que vous êtes tous hétéro", parce que si on se met à dire que quelqu'un est peut-être LGBT dans la classe, les élèves se mettent à faire des suppositions sur qui c'est. Jusqu'à une version bien moins assimilationiste, ou une majorité des intervenant·e·s était non-binaire, cheveux colorés, parlant de différence. Il m'a été souvent impossible de faire comprendre à ces intervenant·e·s pourquoi, du point de vue du responsable, en 2010, c'était une approche qui pouvait être raisonnable. Plus tard, un autre responsable disait que parfois, il regrettait d'être homo, vu les difficultés que ça lui a apporté. En parlant avec lui, dans un RER pour rentrer à Paris après une intervention, je le questionnait sur la pertinence de ce propos, que certains pouvaient trouver homophobe qu'il dise qu'il aurait préféré être hétéro. Je regrette de ne pas avoir réussi à lui communiquer pourquoi envoyer ce message, même s'il le ressent, et que je comprend sa position, était pas forcément idéal. Ce responsable est une des personnes dont j'ai le plus de mal à savoir ce que je pense. Il m'a très souvent énervé, c'était dur de discuter. Mais indéniablement, il faisait des choses, il a considérablement amélioré les IMS avec un processus de formation continue, des formations par des organismes externes, il a beaucoup fait pour l'association. Et je pense que c'est une excellente chose, même si je ne suis pas toujours d'accord avec tout. Et quand je voyais à quel point il se faisait détruire par d'autres membres de l'associations, moins actifs, mais très très critique, je me suis retrouvé à prendre sa défense, ce qui était très étrange mentalement. Je sais pas comment il a tenu dans les rôles qu'il a eu.

Je pense que je devrai parler des trois élèves qui m'ont dit qu'il serait normal de me tuer parce que j'ai été avec un homme. Après tout, je raconte souvent cette anecdote, c'est un bon moyen de capter l'attention de mon interlocuteurice. Mais en vrai, j'ai aucun souvenir d'eux, je sais juste qu'ils sont trois.

Par contre, je me souviens relativement bien d'un élève, le seul en 6 ans avec qui j'aurai aimé garder contact, qui avait l'air très intéressant, qui répondait de façon assez inteligente. Quand on parlait du fait que ça soit toujours des femmes qui soit captive, dans les jeux vidéos, et les hommes qui venaient les délivrer, qu'il y a rarement des héroïnes, il a répondu qu'il faudrait aussi que des hommes se fassent capturer. C'est con, mais j'y avais jamais pensé, pourtant c'est logique. J'aurai du lui répondre que dans Donkey Kong Country 2 et 3, DK se fait capturer, et Dixie le sauve, mais j'y ai pensé que plus tard. Dans ce même lycée, le second plus grand lycée de France, où j'ai du aller au moins une vingtaine de fois, je suis aussi tomber sur une élève qui lisait mon compte twitter. Je l'ai croisé dans un couloir, je ne lui ai pas fait d'IMS. Tant mieux, ça aurait été bizarre. Déjà qu'elle m'avait dit que j'étais plus beau en vrai que sur ma photo de profil, ce qui est assez étrange.

Je suis très touché quand des élèves me reconnaissent, surtout quand je reviens dans un lycée un an après. Je suis légèrement triste quand je dois avouer aux élèves que non, je ne me souviens pas d'eux. Je les crois s'ils me disent que je leur ai parlé il y a un an. Mais j'ai fait 160 classes en 6 ans, ça fait 26 classes par ans, plus de 600 élèves par an, c'est quasi-impossible pour moi de me souvenir d'eux. Au mieux je me souviens de classes.

Une classe qui, dans son ensemble, a été très sympathique. Normalement la classe était en demi-groupe. On devait leur parler à 8h30, une moitié est arrivée à 9h30 car n'avait pas été prévenu que ça ne serait pas un demi-groupe exceptionnellement. La moitié qui est arrivé en retard a demandé à ce qu'on fasse notre intervention sur la pause déjeuner. C'est super flatteur quand une classe demande à lui parler plutôt que prendre sa pause, j'ai été très touché. La prof' a proposé d'aller nous acheter un sandwich, puisqu'on avait pas le temps d'aller à la cantine. Sauf que, la prof, aimable mais étourdie, avait oublié qu'on était deux, donc était revenu avec un seul sandwich. On a fait cours dans la salle de spectacle/conférence, avec 150 sièges, avec 15 élèves, c'était un peu dispropotionné. Surtout que le tableau était loin, donc c'était pas pratique pour alterner entre être prof des élèves pour les entendre, et écrire au tableau. Dans ce même hall, on avait eu un jour deux classes à la fois suite à une erreur d'emploi du temps. On a aussi eu une intervention avec une journaliste de je sais plus quel radio, France Inter, je crois, qui n'a bien sûr pas enregistré l'intervention, mais qui a pu parler avec des élèves après, et parler de l'intervention à la radio. C'était, je l'admet, un peu stressant, puisque j'allais indirectemement, représenter les interventions devant des millions d'auditeurices.

Parlant de cantine, une amie prof m'a fait savoir que j'avais sûrement mangé dans plus de cantine, et visité plus de salles des profs, que la majorité des profs sur l'ensemble de leurs carrières. J'ai un peu de pitié pour un·e intervenant·e vegan·e, car les cantines, c'est pas idéal. Déjà que de base, c'était pas intéressant. Pire, une cantine a voulu nous faire payer, parce qu'ils avaient pas eu de demande du service adéquat pour prévenir plusieurs jours en avance que des intervenants y mangeraient.

Un jour qu'on rentrait en RER, j'étais avec une intervenante très féministe. Je lui demande donc un conseil d'ouvrage pour m'initier à ce sujet. Elle conseille l'Ennemi Principale. On parle de féminisme et de lutte. À un moment, notre voisine de RER se lève, nous remercie, c'était une conversation bien plus intéressante à écouter que les habituels discussions autour du foot, et descend du RER. C'était innatendu.

Note

[1] c'était avant sa transition, avec bien moins de scandales.

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