Votre premier million de mots

Une nouvelle écrite par unn amii.

Non, on est pas une entreprise d'écrivain public. On n'est pas à "compte d'auteur". On est Writer as a Service. Mais francophone. Honnêtement, je suis plus productif en français. Et le français est super classe en dehors de la France. T'imagines comment tu peux te la pêter quand tu dis à tes potes que t'as écris un roman en français? Si le roman est pourri, c'est pas grave, personne autour de toi le lira. Faut juste que t'évites d'en parler à tes potes francophone. T'apprends 5 phrases en français, pour les gens qui doutent que tu parles français, personne attendra la 5ème phrases, tout le monde sera convaincu que t'es un expert. Attends. T'as déjà vu les "français" des films américains.

Okay, attends, attends, je reprends. Tu sais comment tous les conseils d'écrivains te disent que chaque auteur a un millions de mauvais mots avant d'en avoir un bon? Que le premier roman est pour la poubelle, le deuxième pour l'éditeur et la critique, et le troisième pour le lecteur? T'as un auteur célèbre qui explique que quand un jeune vient le voir et lui demander son avis, il répond toujours "tu n'as aucune chance, tu devrais arrêter". Parce que c'est vrai, personne n'a aucune chance, quasi tout le monde arrête avant d'avoir le succès. Le succès est du au hasard uniquement, pas à la qualité. Et plus tu créées d'œuvre, plus t'as de chance d'en avoir une qui a un succès. Et bien, toutes ces petites contraintes, on les gère pour les auteurs.

D'abord, personne a dit que le premier million de mots, tu devais l'écrire toi-même. (En vrai, personne dit réellement "un million", mais si tout le monde pense qu'il faut jeter un million de mot, les gens vont nous engager pour écrire un million, ou un million et demi, de mots. C'est tout bénéf pour nous. On vend dix fois plus que si nos clients pensaient qu'il fallait écrire juste cent milles mots. Et puis, en tant qu'artiste, je peux te dire honnêtement que "un million" ça sonne bien, donc ça sonne juste et vrai. Y a que les techniciens qui comptent en "cent-milles". C'est quoi ça, un nombre composé de deux mots!) Sérieusement, qu'est-ce qui t'empêche de faire écrire ton millions de mots par autrui. PER - SON - NE. C'est juste la tradition qui te restreint. Tiens, d'ailleurs, si t'es vraiment prêt à te débarasser de la tradition, on peut même écrire ton million de mots par notre inteliggence artificielle. T'as plusieurs modèles. Tu peux aller de la simple chaîne de Markov à GPT-3 (non, on a pas encore accès à GPT-3. Mais on a mis le prix tellement haut que personne nous demande cette option, c'est juste juste pour faire classe). Pour un coût supplémentaire, tu le calibres sur le genre dans lequel tu veux écrire; voir sur l'auteur dont tu veux t'inspirer. T'imagines, officiellement t'es un auteur débutant, et un critique dis de toi "Cet auteur est prometteur, quoi qu'on reconnaîsse encore trop l'inspiration à cheval entre Victor Hugo et Terry Pratchett". Bien sûr, avoir un style trop proche est sensé être un défaut, officiellement. En vrai, c'est un super compliment pour un débutant, ça dis à tous les lecturs "si t'aimes Hugo et Pratchett, les auteurs engagés qui parlent aux peuples, alors tu aimeras machin". Et puis, encore une fois, si tu vas à l'étranger avec un exemple de ton livre pour prouver que tu es auteur, l'allemand moyen qui ouvre ton bouquin fera pas la différence entre une chaîne de Markov et un vrai auteur respecté des critiques. Ça marchera avec un russe aussi, mais là tu triches puisque tu changes d'alphabet.

En réalité, on n'a pas encore réussi à vendre notre million de mot écrit par machine. Tu sais, il y a toujours cet envie folle du "fait-main". Une statuette souvenir "fait main" sera toujours plus prisée du touriste-gogo que la tour-eiffel coulé dans un moule. Alors qu'honnêtement, l'employé qui fait à la main cinq-cent statuettes par jours, toutes identiques - il a pas un boulot plus enrichissant que la machine - tu peux pas faire cinq-cents statuettes et être passionné. T'es expert, c'est tout. Nous on aimerait bien déveloper notre offre du million de mots-machine, forcément, c'est considérablement moins cher à produire. Mais bon, le client est roi, et tant qu'il paye, on a des écrivains, des torcherons du clavier, qui sont capables de te pondre ton million de mots, et te rendre prêt à devenir auteur. Remarque, je te parle du clavier; on a un illuminé qui est tellement à fond sur le travail manuel qu'il nous a payé extra pour avoir son million de mots à la main. T'imagines pas combien on lui a demandé. Parce que trouver un employé qui accepte d'écrire à la main, il se dit que bon, c'est rigolo, ça fait un bonus en plus. Sauf qu'après une semaine d'écriture non-stop, il a des douleurs au poignet, il a besoin de se mettre en congé maladie, et notre client attend. Et c'est pas comme avec l'ordinateur, où si t'es pressé tu mets dix types qui font cent-milles mots chacun. Là t'aurais 10 écritures différentes, ça se verrait trop. T'as bien des faussaires qui sont capable d'imiter l'écriture d'un autre, mais va faire ça sur quatre-mille pages; au bout d'un moment le faussaire se relache. Si ton client est un gosse, à la limite, tu peux dire que son poignet se forme; mais si c'est un adulte c'est pas crédible. En fait, on a trouvé notre perle rare dans un club d'écriture du troisième age. Un type qui avait été secrétaire dans une entreprise familliale qui est jamais passé à l'ordinateur. On lui avait bien acheté une machine à écrire, mais il en voyait pas l'intérêt. Bref, le vrai souci, c'est que si on parle indiférrement de "un million de mot" ou d'"un roman", alors qu'un roman fait dans les cent-milles mots, tu te doutes bien qu'on joue un peu avec l'exactitude. C'est parce que qu'on s'attend à ce qu'un auteur sérieux garde qu'un dixième de sa production. Oui, vraiment. Quand t'écris une phrase, tu supprimes ta phrase et la réécrit. À la limite, tu gardes quelques mots. Quand t'écris une page, t'as au mieux un paragraphe à garder. Quand t'écris un chapitre, t'en supprime encore la moitié pour éviter de faire long. Avec tout ça, quand t'as écris un million de mots, ton roman en a gardé qu'une centaine de millier, t'as supprimé les neufs autres centaines. Bon, pour être honnête, nous on a toujours utilisé des logiciels qui ne gardent pas l'historique de ce que tu écris. Tu peux pas naviguer et vérifier qu'on a vraiment écrit ces neufs centaines qu'on ne livre pas au client. Donc on triche un peu; toutes les companies font ça, on rogne sur les bords pour gagner du temps, y a pas mort d'hommes. Mais maintenant que tu passes à l'écritures manuelles, tu as les brouillons, tu as les ratures, tu as tout ça. Tu peux plus tricher. Et là les coûts explosent. Ça se voit si t'écris tout d'une traite, c'est pas réaliste.

Tiens, là, par exemple, quand je te parle, je note tout en même temps. Non, pas ce que tu me dis, t'en fais pas, je veux pas te verser de droits d'auteurs. Comme ça, j'ai pas besoin de relire derrière, de réécrire, et je peux facturer ça comme une nouvelles dans un recueil bidon. Mon client mettra à son CV qu'il a publié une nouvelle de plus dans un magasize que personne ne lit, et tout le monde est content.

Si tout vas bien, notre prochain service utilisera des masques en latex, pour que nos auteurs débutants se rendent sur scènes. Ils pourront déclamer poèmes, stand-up, chanson en playback, signer des autographes, prendres des photos avec des fans. 99 pourcents des "artistes" ne rencontreront pas de succès, mais un auteur parisien peut facilement devenir un stand-upper québecois, puis un poète belge, suffit de faire tourner le masque d'un pays à l'autre. L'employé change de masque et retente sa chance sous une nouvelle personna. Et pour le pourcent d'"auteur" qui rencontre le succès, on vendra -cher- le masque à notre client. Tant que l'auteur n'apparait pas plus d'une heure en public par jour, c'est totalement supportable. Mieux, on leur fait croire que c'est à leur avantage, car ça leur permettra de garder leur vie privée tranquille.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.milchior.fr/blog/index.php?trackback/780

Fil des commentaires de ce billet