Je ne me considère pas queer

Régulièrement, des gens que je croise pensent que je suis non-binaire et queer. Il faut dire que plus le temps passe, plus les gens qui ne me connaissent pas m'assignent femme, surtout quand je porte un masque contre le covid. J'ai déjà expliqué pourquoi je suis un homme, je m'attaque à pourquoi je ne me reconnais pas derrière le mot queer.

Une amie m'a proposé de co-créer une scène ouverte queer, et j'ai dit que je ne reconnaissais pas derrière ce mot là. Elle m'a demandé si j'avais un syndrôme de l'imposteur. Dans ce contexte précis, ça a clairement du sens, "est-ce que j'ai vraiment ma place sur cette scène". Mais j'ai trouvé que sa question était très intéressante en général.

Historiquement, à l'époque ou "queer" était une insulte, avec mes cheveux bleus[1], mon vernis, mes robes, j'aurai totalement été qualifié de queer. Je vis à Paris en 2022, bien qu'il puisse m'arriver de me faire interpeller dans la rue, je n'y ai évidemment jamais entendu le mot queer[2], ce n'est ni la bonne langue ni la bonne époque. Ceci dit, je n'ai que rarement du vernis et une robe; et si les cheveux restent bleu, ce n'est que parce qu'il n'est pas pratique de changer de style régulièrement. Bref, si j'étais dans les années 19XX, oui, j'aurai été qualifié de queer. Mais j'ai découvert ce mot bien après que cette insulte ait été réapproprié, et je l'ai toujours connu comme un terme plutôt positif utilisé pour l'auto-désignation. Donc ce billet s'intéresse uniquement à pourquoi je ne me l'approprie pas.

J'imagine que je commence déjà à être vieux, à ne plus reconnaître les mots tels que les jeunes les emploie, à avoir du mal avec les changements sémantiques. Pour mon amie, "queer" était une façon plus rapide de dire LGBTQI+, sans devoir énumérer toutes les lettres. Il serait très ironique que je reproche à qui que ce soit de mal utiliser le mot "queer", de tout les mots que je connais c'est bien celui que je ne veux pas voir obtenir une définition claire et immuable. Pour moi, "queer" c'est relié à des phrases tel que "not gay as in happy, but queer as in fuck you". Je suis un mec poli, je jure peu et ne dis pas "fuck you". Il y a fort longtemps, "le MAG" était le "mouvement des adolescent gays", avant de devenir "le MAG Jeunes LGBT". Ils avaient voté pour savoir si le mot "queer" devait être rajouté, le vote a été négatif. L'explication principale étant que on ne choisit pas d'être son genre ou son orientation sexuelle, alors que "Queer" est un choix d’identité, de conviction, politique. Je trouverai étrange d'être "queer" et de demander un agrément académique et ministérielle pour intervenir dans des écoles, d'être queer et d'accepter de faire de l'assimilationisme, d'avoir un discours suffisamment apaisé pour être acceptable par le corps enseignant.

Quand j'ai arrêté les interventions en milieu scolaire, quand les élèves connaissaient d'autres genre que "homme" et "femme" c'était souvent grâce à je ne sais plus quel app, qui proposait lors de l'inscription plus que deux choix[3]. Le mot "non-binaire" n'a même pas une décennie, mais avant il y avait bien d'autres termes, je me souviens en particulier de gens qui avaient marqué sur leur blog être "gender-fucker", et je m'amuse toujours à imaginer les apps modernent, qui demandent le genre et autorisent "non-binary", avoir "gender-fucker" dans leur forme si elles avaient existé il y a 10 ans.

Des formulaires particulièrement importants sont reliés au travail. Là où je suis, il y a une page avec diverses informations sur les employé·e·s, et en particulier nos pronoms. J'ai choisi l'option "Use any pronoun" (Utilise n'importe quel pronom). De temps en temps, il y a aussi des questionnaires pour en savoir plus sur la diversité dans l'entreprise, et là je marque "homme". Je m'étais demandé un peu si ce n'était pas contradictoire. La différence étant que, de fait, je me fiche sincèrement du pronom que les gens utilisent. En particulier, s'ils restent sur "il/lui" ou "he/him" ça me va parfaitement. Mais si quelqu'un qui ne me connaît pas me croise dans un couloir et me dit "madame" puis utilise "elle" ça me va tout autant. Par contre, je n'aurai aucune envie que mon indifférence vis-à-vis de comment je suis perçu compte pour les statistiques de l'entreprise.

Retournons au mot "queer". Quand je l'ai découvert, le mot "queer" était relié à une contre-culture, à des mouvements artistiques et intellectuels dont je ne connais presque rien et sur lesquels je me renseigne finalement assez peu. Les cultures queers sont diverses, mais j'ai toujours vu un point commun dans les récits en questions, la perte de sa famille/du milieu où tu as grandis, l'arrivée dans une grande ville, et te créer ta propre communauté. C'est presque toujours lié à la pauvreté, l'exclusion du marché du travail "respectable" et souvent le travail du sexe. Aujourd'hui encore, c'est l'histoire de plein de gens, même en France. Ce n'est en rien mon histoire. Certes, j'ai connu des homophobes à l'école, j'ai très exactement une personne de ma famille homophobe[4], avec qui on avait de toute façon déjà rompu les ponts autant que possible pour d'autres raisons. J'ai grandi à Paris, donc clairement, aller dans une grande ville semble compliqué - quoi qu'avant le Covid j'ai passé 2 mois et demi à San Francisco et y ait trouvé du boulot. Le covid a tué ce projet. Quant au travail et à la pauvreté, non seulement je sais que j'ai toujours pu compter sur mes parents pour me soutenir durant mes longues études, mais aujourd'hui je suis ingénieur logiciel dans une grande multinationale, ce qui est quand même plutôt "respectable" et clairement bien payé. Bref, je suis bourgeois, et je n'arrive pas à imaginer que "bourgeois" et "queer" soient le moindre du monde des notions compatible.

J'imagine que je serai à l'aise avec le fait de jouer sur une scène queer. J'en ai découvert une récemment, et vu les artistes programmés, je pense être aussi légitime que certain·e·s d'entre elleux. Dans Nanette, Hannah Gadsby parle de "lesbian comedy 101", i.e. de thème que tous les jeunes humoristes lesbiennes (mais ça s'applique aussi aux gays, aux gens qui se conforment pas à leur genre) abordent. C'est un peu comme parlé de relation de couple, de la drague, pour des stand-uppeurs hétéros, chaque jeune stand-uppeur·se homo a un moment où iel parle de coming-out, de réaction familial et à l'école/l'université/le boulot, de son village (s'ielles viennent d'un village), et de ce qu'iels connaissent de la communauté homo local (i.e. le marais à Paris, grindr...). Souvent avec un petit message "politique" qui ne convaint que les convaincus. J'ai moi-même fait ça il y a longtemps. Et tout ça, ce contenu de stand-up homo basique, je suis content qu'il y ait des scènes où ça existe. Parce que même si c'est peu intéressant artistiquement, comme un·e musicien·ne ou un·e dessinateurice qui débute, c'est bien de pouvoir s’entraîner avec des classiques, avant de réussir à créer ton style. J'ai vu débuter des artistes qui étaient assez nul·le, classique, et qui ont su créer leur public, leur voix, mais ça a pris du temps, ça a pris beaucoup de prestations scéniques pour tester et affiner, et je suis content que cette possibilité soit ouvert aux jeunes queers aussi; même si j'ai du mal avec ce mot.

Notes

[1] Pourtant, le bleu est sensé être une couleur masculine

[2] quoi qu'honnêtement, il est rare que les propos soient réellement compréhensible; on parle surtout de gens bourrés.

[3] J'étais persuadé que c'était snapchat, mais après vérification ils ne demandent pas le genre.

[4] Elle avait dit qu'elle me ferait un procès pour être en robe sur ma photo de profil twitter car je salis le nom de notre famille.

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