Réponse à quelqu'un me questionnant sur l'infini

Un soir, avec un ami prof de math, on discutait avec des types pas du tout matheux - comme quoi on est ouvert d'esprit vous voyez. Et l'un de ces types nous questionne sur ce qu'on pense de l'infini. Je ne suis pas certain de comprendre sa question, et de pouvoir la reformuler honnêtement. Tel que je l'ai compris, il se demandait comment on pouvait se permettre de manipuler l'infini, si ça avait vraiment du sens.

J'ai trouvé assez intéressant que mon ami et moi ayons immédiatement pensé à des réponses extrèmement différentes. Ça me donne envie de lister des idées de pistes de réponses à ce sujets. Et surtout, de vous demandez ce que vous, vous auriez répondu.

Les cardinaux

Mon ami a d'abord dit - si ma mémoire est bonne - que tu as le nombre 0, puis pour chaque nombre, ce nombre as successeur. Et ce successeur n'est jamais un nombre que tu as déjà vu. Et hop, tu crées un nombre infini de trucs: l'ensemble des nombres naturels. À partir de là, il a expliqué la diagonale de Cantor - (aidé par une illustratition trouvé en ligne). Cette diagonale montre que - contrairement aux nombres entiers dont on a parlé avant - tu ne peux pas lister tous les nombres (avec une infinité de chiffre après la virgule) entre 0 et 1. Donc il y a plus de nombres entre 0 et 1 que de nombre entier. Les ensembles listables et ceux - plus gros - non listable[1].

Les nombres infinis, à partir du fini

De mon côté, j'avais envie de dire qu'au contraire, l'infini n'existe pas pour nous autre matheux. On se contente de le simuler, et des révolutions mathématiques ont eu lieu quand on a découvert comment faire «comme l'infini», mais en utilisant que des trucs finis. Par exemple, disons que t'as une suite de nombre. Tu as le droit de dire que cette suite tend vers l'infini. Mais en réalité, cette phrase n'a pas besoin du mot infini. Dire «Cette suite tend vers l'infini» revient à dire: quand tu va assez loin dans la suite, celle ci devient arbitrairement grande. Dès que t'as choisi un nombre, il y a un moment où la suite ne sera jamais en dessous de ce nombre. Et hope, t'as nouvelle définition n'utilise plus que des nombres fini. Pareillement, quand tu veux définir une somme infini, tu repasses au fini. Tu peux définir ta somme comme étant une suite de somme d'un nombre fini d'élément, et voir si ta suite tend vers quelque chose. Ou alors, tu peux définir que c'est le plus petit nombre plus grand que toutes les sommes finies (si tu fais une somme d'objet positif).

Et réciproquement, l'infiniment petit, tu ne l'utilise pas vraiment. Tu le simule à partir du «finiment petit», à partir de nombre très très petit, mais qui restent toujours des nombres usuels. Si tu dis qu'en 0, une fonction f tend vers 0, l'infini sert à justifier la notion «tend vers 0». Mais mathématiquement, tu dis juste: pour tout nombre aussi petit que tu veux - tu l'appelles epsilon en général - quand t'appliques f à un autre nombre assez petit, le résultat de f sera forcément plus petit que epsilon. Autrement dit, quand f est appliqué à un nombre assez petit, sa sortie sera assez petite aussi.

Formalisation logique

Je vais faire une comparaison hasardeuse avec la physique. Les mathématiciens ont différentes équations, différentes théories, qui modèlisent des parties différentes de la physique. Les équations de la mécanique quantique, et sur la mécanique d'un robot, sont différentes. C'est toujours de la mécanique, des trucs qui bougent avec le temps. Mais on accepte d'utiliser pas exactement les mêmes outils mathématique en fonction de ce qu'on cherche à comprendre. Les logiciens travaillent avec l'infini comme avec des mondes physiques. On a plusieurs théories concernant l'infini, et chaque théorie va tenter de modéliser une intuition qu'on a de l'infini. Ces théories interagissent parfois, une théorie peut donner des idées pour voir une autre théorie. En tout cas, au lieu de dire «l'infini, c'est ÇA», puis donner une théorie de l'infini comme on théorie de la géométrie euclidienne, on pourra proposer différents systèmes. Mais ces systèmes mathématiques de modélisation de l'infini n'utilisent pas plus l'infini que les systèmes de modélisations de la mécanique n'utilise la mécanique. Ainsi, l'infini utilisé dans la première réponse, dans la diagonale de Cantor, ce n'est pas vraiment le même infini que quand on dit qu'une suite tend vers l'infini.

Déjà, quand on fait une preuve, on utilise une quantité finie de papier. Un nombre fini de lettre. Les mathématiciens ont créés une théorie de la preuve, afin d'étudier mathématiquement ce que c'est que cet objet «la preuve». Mais même sans cette théorie, on devrait être capable de voir que tout ce qu'on a dit sur l'infini n'a pas eu besoin de l'infini. Il reste simplement à se poser la question: est-ce que dans le nombre fini de raisonnement que j'ai fait, il y a eu une faute, ou non ? On peut considérer deux types de fautes. Une faute purement mathématique, c'est à dire une étape de raisonnement non valide. Ou bien une faute dans les hypothèses de bases: on a supposé un truc (choisi un axiome), avant de se rendre compte que cet axiome ne modèlise pas l'infini comme on aurait voulu.

Restons sur les axiomes un moment. Une théorie peut avoir une infinité d'axiome. Ainsi, en théorie des nombres, tu pourrais vouloir dire qu'il existe un nombre (appellons le 0). Puis qu'il existe un nombre plus grand que 0 (appelons le 1). Qu'il existe un nombre plus grand que 1, (appelons le 2) etc... Ce n'est pas la façon dont on procède habituellement, mais ça arrange mon exemple. Tu vas obtenir une infinité d'axiomes. On peut légitimement se demander si, tout ses axiomes pris ensemble, cette infinité, ça ne crééerait pas une contradiction. Quand on parle de contradiction, on veut dire qu'on a moyen de prouver qu'une chose est à la fois vraie et fausse, ce qui rend notre mathématique inutile. Il y a un théorème assez sympa, je trouve, qui te dit que si tu as une contradiction dans un nombre infini d'axiome, alors tu peux avoir la même contradiction en te limitant à un nombre fini d'axiome. C'est assez intuitif, si tu as une contradiction, c'est à dire si une propositions P est à la fois vrai et faux, t'as une preuve que P est vrai, et t'as une preuve que P est fausse. Ces deux preuves utilisent un nombre fini d'axiome. Tu peux donc te contenter de prendre le nombre fini d'axiomes venant de tes deux preuves, et tu as ta théorie avec sa contradiction. Dans le cas de mon exemple, si mon infinité d'axiome avait une contradiction, ce théorème implique qu'il y a une contradiction à partir d'un certain nombre de nombres que tu supposes existé. Autrement dit, si toutes nos hypothèse ensemble créent une contradiction, ça veut dire qu'on peut créer un ensemble de nombre 0, 1, 2, ..., n, tel qu'on ne peut pas créer de nombre plus grand que n.

Histoire de boucler la boucle: revenons un peu à nos questions de nombres infiniments grands. Si tu prend un nombre fixé n, tu peux avoir comme axiome que n est plus grand que 1, et qu'il est plus grand que 2, etc... La différence avec le cas précédent étant que cette fois ci, c'est le même nombre qu'on suppose plus grand que 1, que 2, etc... Puisque chaque ensemble fini d'axiome n'apporte pas de contradiction, cela veut dire que prendre tout ses axiomes ensemble n'apporte pas non plus de contradiction. Donc tu prouves que tu peux avoir une arithmétique avec des nombres «infinis», qui est aussi valide que l'arithmétique avec que des nombres finis. On l'appelle ça un modèle non-standard de l'arithmétique[2].

Notes

[1] Je reformule, il n'a pas dit ça comme ça.

[2] Et réciproquement, tu peux avoir des nombres plus petit que tous les rationnels, mais strictement positifs. Ces nombres te permettent de redéfinir des notions comme la continuité, et créent un domaine mathématique qui s'appelle l'analyse non-standard.

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