La (patine de) culture au théâtre

Un autre billet de réflexion sur la création, et sur un procédé courant qui me gène. Ça sera peut être une évidence pour les gens ayant fait des vrais études de littératures, et que je découvre naïvement.

Il y a eu l'année dernière une journée autour de Pierre Desproges à l'école normale supérieure, qui était ma foi très intéressante. Contrairement à une conférence de mathématique (enfin, d'informatique), j'avoue que je ne sais pas trop ce qu'il faut retenir de ce genre de réunion, ni d'ailleurs comment retenir quelque chose, car il n'y a pas un bel encadré avec "définition 1", suivi plus tard de "théorème 1".

Un intervenant relevait qu'une technique de Pierre Desproges utilisait souvent, pour faire classe et distingué - après tout Desproges est un homme de goût - était de faire référence à quelque chose qui est connu, ou tout du moins qu'une personne raffiné devrait connaître, mais dont le nom est connu de la majorité. Ainsi dans la phrase "Il est plus économique de lire Minute que Sartre. Pour le prix d'un journal, on a à la fois la nausées et les mains sales.", il y a bien sûr un jeu de mot. Mais il y a aussi le nom d'un auteur célèbre et réputé et de deux de ses créations. On peut supposer qu'une grande partie du public aura entendu parler de Sartre, et même s'ils ignorent ce qu'il a écrit, il peut inférer relativement facilement que "La nausée" et "Les mains sales" sont les titres de deux de ses œuvres[1]. Le tout donne donc à l'auditeur l'impression d'être cultivé, alors que la culture requise est très faible, puisque nul n'est besoin d'avoir lu ces ouvrages pour apprécier le bon mot.

Certes, je fais un long paragraphe pour un bon mot, sur lequel il ne s'éternise pas, ça me semble tout à fait acceptable. Là où je commence à avoir plus de mal, c'est quand une œuvre entière est basé sur ce principe.

En particulier, Alexandre Astier parlait de la physique quantique dans un sketch d'un quart d'heure. De même, dans Que ma joie demeure, il se prend pendant une heure pour Jean-Sébastien Bach, donnant un cours de musique. (Je ne parlerai pas de Kaamelot, que j'adore, je connais moins bien la légende Arthurienne). Mon énorme regret en voyant ces scènes, c'est que ni la physique quantique, ni la musique, n'apportent vraiment quoi que ce soit au sketch. Ici l'auteur fait une promesse, celle de parler de ce sujet complexe, qui n'est finalement pas respecté. Quand il se moque d'un spectateur ou de son acolyte sur scène, ça pourrait être dans n'importe quel contexte, concernant le physique des physiciens, ils pourraient être comptable que ça ne changerait rien. Et quand il prononce des phrases compliquées, tel que la lecture d'une équation, finalement, il se contente de dire sérieusement des mots incompréhensible. La base de ce comique, c'est la même que le latin de cuisine de molière, ou que les français qui se moquent de l'accent des québécois qu'ils jugent incompréhensible. Mais ça semble plus intellectuel.

Bien sûr, Alexandre Astier n'est pas le seul à utiliser ce stratagème, j'ai vu hier les Palmes de M. Schutz, de Jean-Noël Fenwick, une pièce racontant la découverte de la radioactivité par les Curie. Enfin, quand je dis la racontant... C'est faux. Encore une fois et c'est normal, ils ne peuvent pas vraiment rentrer dans les vrais de la physique, 2 heures n'y suffiraient pas. Cela raconte une partie de l'histoire des Curie, l'histoire de la recherche, de ce qu'est la recherche, son but - le savoir pour le savoir, pour le côté pratique, pour l'argent que ça peut rapporter... - l'histoire de gens qui luttent pour leur passions, face à l'administration bornée qui voit à court terme - ce qui nous parle encore aujourd'hui... Il me semble que la passion aurait aussi bien pu être la musique, ou le théâtre, ça n'aurait rien changé, tant que le personnage était persuadé de la beauté de ce qu'il fait, et de l'intérêt universel de sa création. Mais niveau physique, le niveau est 1) y a quelque chose qui cloche dans mes mesures. 2) je cherche où mon instrument de mesure est cassé. 3) Ah en fait, il fonctionne, mais le polonium a un comportement bizarre.

Bien sûr, je ne jette la pierre à personne, Astier et Fenwick ont écrit des œuvres magnifiques, et après tout si elles ont du succès, c'est bien qu'ils ont réussis leur travail d'auteur. D'autant que je n'ai pas d'idée pour faire mieux, et ma lecture de Science en scène dans le théâtre britannique contemporain me donne l'impression que personne n'a vraiment fait mieux pour l'instant [2]. Mais je regrette sincèrement qu'à la place de poser une patine de culture, il n'y ait pas un moyen de mettre un véritable contenu profond dans une pièce[3].

Mais pour conclure sur une note positive, ce qui est beau avec ça, c'est qu'une fois qu'on a les noms, qu'on a les notions et les mots, peut-être que certains se trouveront influencé, et auront envie de découvrir la musique - de Bach ou pas, qu'importe - que ça soit pour jouer, ou pour connaître la théorie. Et peut être que certains auront été enthousiasmé par les propos lyrique de Pierre Curie sur scène, et auront envie de découvrir la science, que ça soit en devenant scientifique, ou au moins avec de la vulgarisation sérieuse.

Notes

[1] Je généralise mon cas

[2] enfin, personne dans le théâtre britannique contemporain, le sujet de ce livre étant malheureusement très limité

[3] Ou dans un film, en tout cas dans quelque chose de visuel est cours, contrairement à un livre

Commentaires

1. Le vendredi 29 novembre 2013, 10:37 par Athreeren

Il est loin d'être impossible de faire de la vulgarisation amusante (j'ai la flemme de chercher des exemples, mais je suis sûr d'en avoir déjà vu). Mais il y a quelques semaines, j'ai assisté à un spectacle de vulgarisation coécrit (et "joué") avec un chercheur. Le spectacle n'était pas drôle, et la science était inexacte, pour presque toutes les idées énoncées par le chercheur. Plus grave, ce n'est même pas dû au fait que ce soit de la vulgarisation.

2. Le mardi 10 décembre 2013, 20:30 par LCF

"les gens ayant fait des vrais études de littératures"
"j'avoue que je ne sais pas trop ce qu'il faut retenir de ce genre de réunion, ni d'ailleurs comment retenir quelque chose"

Prends un papier, un crayon, et note les idées qui te paraissent intéressantes.
Si l'orateur passe dix minutes à décrire pourquoi il s'est retrouvé dans une situation délicate, parce qu'il n'avait pas racheté de missiles de croisière après avoir tiré presque tout son stock, Je noterais "Toujours refaire le plein de missiles! (sinon, on prend cher)".
Une note peut être lapidaire, et couvrir une grande quantité de temps de parole, pourvu que tu comprenne la pensée de l'orateur, et que la note soit assez explicite. L'important, c'est le fait de comprendre une chose, de l'écrire, et de pouvoir le déchiffrer plus tard. C'est ce qui fait le côté personnel des notes. Ça doit trahir ta manière de penser.

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