Intolérance au mot tolérance.
Par Arthur Milchior le lundi 27 mars 2017, 22:04 - Truc et astuce - Lien permanent
«C'est un hymne à la tolérance.» est une expression qui m'agace un peu. Et j'aimerai bien indiquer quelques règles, qui, selon moi, rendent ce mot hypocrite ou non. Je ne donnerai pas d'exemples précis, parce que j'ai pas envie de dire de mal de tel ou telle œuvre. D'autant que tous les exemples que j'ai cherche à défendre des idées que, en gros, je partage. Simplement, défendre n'a pas forcément grand chose à voir avec tolérer.
Tel que je comprend tolérance[1], cela se réfère à quelque chose qu'on n'apprécie pas. Ça n'aurait aucun sens de dire que je «tolère» l'homosexualité alors que j'ai utilisé cette étiquette pendant une décennie et que je participe encore à des actions visant à diminuer l'homophobie (entre autre).
Par contre, quand je lis des témoignages de LGBT dont les parents ont été à la manif contre tous, en particulier de jeunes qui ont du y aller avec leurs parents, je ressens l'envie que cette manif' soit interdite. Donc, je peux dire que, consciemment, je tolère l'idée que la manif soit autorisée. Par exemple, parce que je me dis qu'interdire une manif' serait une très mauvaise pente glissante, et que ça ne s'appliquerait pas qu'aux idées qui me déplaisent. Bref, je ne suis pas en train de défendre l'existence de cette manif, encore moins de prétendre qu'il est positif que cette manif' existe. Mais, là, on peut parler de tolérance.
Pour résumer, et si je comprend bien le sens de ce mot, «tolérer» signifie d'accepter quelque chose malgré qu'on soit contre cette chose.
À qui l'œuvre est-elle diffusée ?
Pour moi, c'est la première question à se poser. Si l'œuvre est diffusé uniquement dans un groupe de gens déjà convaincu par le message principal, alors il me semble que le mot «tolérance» n'a RIEN à faire dans la description de l'œuvre. Puisque, justement, les spectateurs/trices, auditeur/trice-s, vont déjà être en accord avec le message. Cela s'oppose donc à l'idée même de tolérance, puisqu'il n'est pas demandé à ce que la personne qui profite de l'œuvre accepte quelque chose qui lui déplaît.
Ou alors, à la limite, si l'œuvre en profite pour avoir un message qui est peu commun dans le milieu visé, pourquoi pas. Disons que le public est majoritairement gay, si l'œuvre encourage les gens à penser à inclure les problématique lesbiennes ou bi, le mot tolérance pourrait commencer à avoir du sens[2]. Ça serait encore plus vrai si l'œuvre encourage ces gays à arrêter de prétendre que ce sont les efféminés qui donnent une mauvaise image, par exemple.
Un dernier exemple, si l'œuvre disait de ne pas en vouloir aux parents qui ont rejetés leurs enfants, pourvu qu'ils aient changé d'avis après, qui tente d'expliquer ce qui se passe dans la tête des parents à ce moment là, qui les humanise, alors on pourrait vraiment parler de tolérance. Je ne suis pas du tout sûr d'avoir envie de voir ce genre d'histoire. Mais, c'est bien parce que c'est quelque chose qui me déplaît que le mot tolérance prendrait son sens. Et honnêtement, j'ai jamais vu d'œuvre décrite avec le mot tolérance et qui me demande vraiment d'accepter quelque chose qui me déplaît.
À qui s'adresse l'œuvre
C'est une question différente, de savoir à qui elle s'adresse et à qui elle est destinée. L'artiste ne choisit pas forcément son public, les visiteurs[3] de son site web, ses lecteur/trices. Pour moi, ce n'est pas une question importante. Si je créais une œuvre, même si je voulais l'adresser à la manif contre tous, j'aurai à peu près aucun moyen de le faire. À la limite, je pourrai m'adresser à quelques personnes individuellement par email, par mention twitter, mais c'est tout. Et pourtant, le docu-fiction sur les interventions en milieu scolaire, ça pourrait montrer à certain-e-s que, contrairement à l'idée qui avait été rependue, on n'est pas là pour apprendre aux enfants comment avoir du sexe[4].
D'ailleurs, je connais des œuvres qui disent «vous» à un auditeurs (imaginaire), en supposant que ce «vous» est homophobe. En fait, «vous» représente la société, dans ce cas là. Sauf que ça ne représente pas le public de l'artiste disant ça. C'est donc assez ridicule quand on y réfléchit. Même si, quand on y réfléchit pas, on peut se dire «je suis avec l'artiste, du bon côté de l'Histoire, et je le soutiens, moi aussi je Vous parle...» Sauf qu'à la fin, le «Vous» est vide, puisque tout le monde sera soit avec l'artiste, soit l'aura ignoré.
Ça a du sens d'un point de vue communication. Et si ça marche, que l'œuvre a du succès, ça augmente aussi les chance que ça soit diffusé à la télé, mentionné dans des grands médias, et donc que ça touche enfin les gens qui sont contre avec l'idée principale du message.
Pour conclure cette partie, prenons une œuvre. Disons qu'elle tente de montrer comment l'homophobie ravage la vie de certains jeunes en questionnement. Selon qu'elle soit projeté dans un festival LGBT ou selon qu'elle soit diffusée sur une chaîne nationale, c'est ça, selon moi, qui permettra d'utiliser de façon non hypocrite le mot tolérance. Ce n'est pas l'œuvre qui est un hymne à la tolérance, c'est bien le choix de la diffuser ou non à un très large public.
Est-ce que l'œuvre explique ?
Selon moi, c'est la seconde question à se poser.
Je vois beaucoup d'œuvres qui partent du principe qu'on est d'accord avec certaines idées et qu'on est déjà un peu au courant d'un certains nombres de faits. Cette dernière phrase est d'une grande platitude[5]. C'est indispensable de partir de ce genre de principe. On partage une culture commune, une langue commune, elles ont avec elles leurs bagages, leurs histoires, leurs sous-entendu clair mais non explicités.
Mais il y a ces idées partagées par, disons, 95% de la population adulte. Et puis il y a des idées partagée par moins de 10% de la population, mais par 95% des gens qui fréquentent régulièrement certains milieux. Ces idées sont répétées, travaillé, reprises, dans ce groupe. Tournent peut-être d'un groupe à un autre, avec des affinités. Mais n'atteignent jamais la notoriété nationale, avec les médias de masses, que ce soit la télé ou l'école.
Idées cachés.
Faire référence à ces idées partagée par peu de gens n'est pas grave en soit. En particulier, si cette référence n'est pas indispensable à la compréhension de l'œuvre. Ça créera un lien plus fort avec le public qui a compris le message, et sera ignoré par le reste des gens. Ça montre aussi aux gens partageant l'idée qu'ils ne sont pas seuls, qu'il y a une communauté, ça peut donner du courage. D'autant plus que ces gens vont voir que des gens peuvent communiquer publiquement à ce sujet.
Mais encore une fois, le mot tolérance n'aura rien à faire là. C'est peut-être une œuvre engagée, politiquement incorrecte, donneuse d'espoir/de leçon, moralisatrice... mais si le message est caché, incompréhensible, on ne peut même pas imaginer que ça pousse quelqu'un à tolérer quelque chose.
Idées non expliquées.
Et parfois, l'artiste est tellement sûr que tout le public est avec iel qu'aucune explication n'est donné pour introduire un long passage. Par exemple, une humoriste se moquait de l'hypocrisies des bourgeois-e-s blanc-he-s défendant Exhibit B. En fait, elle parlait de pleins de choses, mais il se trouve que cette fois, j'avais la référence et je savais quelle était la problématique.
C'est une humoriste engagé, je ne lui retirerai pas ça. À priori, je n'ai pas de raison de supposer que le public soit entièrement acquis à la cause anti-raciste. Enfin, si. Probablement que personne ne se décrira comme raciste; ce n'est pas pour autant qu'iels sauront quels sont les dernières actions (anti-)racistes qui ont lieux en France. Donc, clairement, la réponse a ma première question est «les gens entendant ce sketch ne sont pas tous déjà convaincus». Par contre, puisqu'en pratique, rien n'est fait pour convaincre les spectateur/trice-s de ces idées. Ni même pour les convaincre d'entendre ces idées. Donc selon moi, le mot tolérance ne s'appliquerait toujours pas.
Conclusion
Si un jour, je créé quelque chose pour rendre les gens tolérants, hésitez pas à ressortir ce billet. Je doute que je l'ai oublié. Par contre, je serai peut-être devenu hypocrite.
Notes
[1] Mettons de côté le sens biologique comme celui de la tolérance au gluten
[2] Il y a un bon nombre de gay qui pensent que les questions autours de la PMA ne sont pas importantes, parce que bon, tomber enceinte, ça peut toujours se faire comme on l'a toujours fait. Et les bis sont juste des gens qui assument pas... Je fréquente pas beaucoup de gens ayant ces propos, mais ça m'arrive d'entendre ça.
[3] J'ai voulu dégenrer ce mot... je me suis fait bugger tout seul.
[4] Ce tweet arrive peu avant que je veuille publier ce billet, j'ai une chance pas possible.
[5] Pour le reste du blog, du billet, j'en sais rien. Mais cette phrase, c'est évident.