De la soutenance de thèse
Par Arthur Milchior le lundi 27 octobre 2014, 05:32 - Vie courante - Lien permanent
Je suis en début de troisième année, il me reste donc une dizaine de mois pour rédiger, soumettre et soutenir ma thèse. Et donc préparer le pot de thèse. Ce qui tombe bien car je sais faire de plus en plus de gâteaux, et vu à quels points mes amis en reprennent ils doivent être bon. (C'est comme les rires durant un spectacle, c'est dur de faire semblant).
Sauf que, je ne comprend pas cette coutume. Pas le pot de thèse, hein. Manger des gâteaux avec des proches, c'est cool. Pas la soutenance de thèse, c'est un rite de passage qui a du sens: avoir un regroupement de gens reconnu par la communauté qui confirme que tu peux faire parti des leurs. C'est l'intersections des deux qui m'échappent.
Quel est l'intérêt de dire à des gens: «Eh, puisque vous m'aimez bien, venez m'écoutez parler pendant environ une heure d'un truc qui me passionne moi, et auquel vous ne comprendrez rien au bout de 10 minutes. À la fin, y aura de quoi manger et de quoi boire. Par contre, il faut savoir qu'on pourra rien toucher tant que des gens que vous ne connaissez pas, mais qui sont important - il faut me croire puisque vous, vous avez jamais entendu parler d'eux - ne seront pas revenus. Vous connaîtrez ces gens car ils m'auront dit des trucs incompréhensible, auquel j'aurai répondu, prouvant que je parle leur langages. Et puis quand ils reviennent ils me feront des compliments (qui ont moins d'importance que les compliments qu'ils ne feront pas, mais ça vous pouvez pas le deviner.)»
Bref, je prie mes lecteurs qui auraient soutenus leurs thèses en ma présence de m'excusez, mais j'avoue que je trouve ça globalement assez ennuyeux. Je le fais pour faire plaisir, par politesse, car c'est des gens que j'apprécie sincèrement et que je sais que ça compte à leurs yeux. Et aussi car j'ai un emploi du temps très flexible. Mais dans ces conditions je trouverai ça égoïste de ma part de vous demandez de venir. Je dirai même que je ne crois pas que ça me ferait plaisir, même si ça ne me déplairait pas non plus[1]. À la limite j'aurai plus de raison d’être vexé si on se connaissait en 2011 et que vous n'étiez jamais venu voir mon one-man-show.
Bien sur il y a des exceptions, des thèses particulièrement intéressantes. J'ai souvenir d'une thèse de biologie ou pour le coup l'orateur donnait des détails d'expérience qui rendait le tout mémorable à entendre - quoi qu'assez gore. Et puis il à a la première thèse que j'ai vu qui m'a fait découvrir le décorum, c'est toujours utile. Et puis bien sûr les thèses des gens avec qui j'ai pu travailler, qui ont un domaine proche du mien. Quoi que là encore, en général, j'ai déjà vu leurs travaux soit en le lisant, soit à des conférence, exposés ou séminaire, donc l'intérêt me laisse encore dubitatif.
Attention, ne vous méprenez pas, je suis sincèrement ravi que des amis et collègues aient leurs doctorats. Non pas que ça soit surprenant, une soutenance où le jury refuse c'est extrêmement rare. Mais parce que c'est une fin, un passage, un changement important. Je ne manque pas de dire «Bonjour Docteur» quand je revoie la personne histoire de lui dire que je sais, et que c'est important. Mais je ne vois pas ce que ma présence apporte. Après tout, avoir l'aggregation, être admis dans une grande école, ou même avoir son master, c'est aussi très important. Pourtant personne ne demande aux gens de venir à sa soutenance de Master 2.
En fait, c'est comme le mariage, j'ai du mal à m'intéresser à la cérémonie. Je suis ravi de voir des amis s'aimer, mais je n'ai pas l'impression de l'être plus après le mariage. Ce qui me rend vraiment heureux de venir, c'est les spectacles, le repas avec des amis, ce qui a quand même plus de gueule qu'un pot de thèse. D'ailleurs je n'ai jamais vu de spectacle de cirque après une thèse. En fait, j'ai presque envie de voir un-e marié-e répondre «Non, je veux qu'on s'aime librement», puis la fête se poursuivre comme si de rien était. (Mais j'y crois pas trop.)
Tiens, pour l'anecdote, une amie racontait toutes les difficultés qu'il y avait a organiser son mariage. Moi de répondre: «au moins, tu sauras pour la prochaine fois.» J'avais pas réfléchi. Et étonnamment, je ne pense pas que je puisse dire ça pour une thèse.
Bon, c'est un long billet pour pas grand chose, les soutenances de thèses auxquelles j'assiste sont généralement à Paris, parfois en banlieue proche, ça prends 4 heures à tout casser avec le transport en commun, c'est raisonnable comme temps à accorder pour faire plaisir à quelqu'un qu'on apprécie. Là où je me pose des questions, c'est sur ma thèse. Comment les gens réagirait si je n'invitais personne, si je ne prévenais personne ?
Bien sûr, je suis bavard, je vais en parler, les gens sauront quand le manuscrit est rendu, quand je la soutiens, quand je l'ai eu. C'est pas une question de secret, d'ailleurs sinon j'en parlerai pas sur ce blog. Je me demande si les gens qui trouvaient important ma présence seraient vexé que je ne demande pas la leur. Après tout on m'a appris récemment que certains se vexent de n'être pas invités à un mariage.
D'ailleurs, est-ce que l'absence de public aurait une influence sur le jury ? Ça serait un cas peu commun il me semble. Le problème c'est que, comme je disais plus haut, on ne soutient qu'une et une seule thèse, donc tenter ça, s'éloigner de la norme, c'est un quitte ou double, car si c'est vraiment une bêtise, il n'y a pas de secondes chances.
Je disais donc, il me reste 10 mois. Et durant ma thèse j'ai appris à faire des gâteaux.
Note
[1] Encore que je peux penser à certains membre de la famille que je souhaite explicitement ne pas voir.
Commentaires
Ah oui, mais si tu mentionnes des gâteaux, y a plein de monde qui va venir.
Au contraire, je trouve cette tradition complètement sensée. C'est un moment important, donc il est normal que des proches y assistent. En plus, ce sont en partie ceux qui sont mentionnés dans les remerciements et qui ont relu la thèse pour corrections grammaticales. Et un bon gueuleton semble être une forme appropriée de remerciements pour avoir supporté le thésard pendant trois ans (ou plus en fonction des domaines).
Au Royaume Uni, la soutenance de thèse est privée apparemment : ça me semble sinistre. Même si c'est en fait comme une soutenance de master en France. En fait, je suis complètement d'accord avec ta comparaison à un mariage : plus on est éloigné du couple, moins c'est intéressant ; sauf que pour la thèse, c'est moins on connaît le sujet, et non moins on connaît le doctorant.
« Tu sauras pour la prochaine fois » est une réponse pertinente dans les deux cas : évidemment, il est à souhaiter qu'on ait sa thèse du premier coup (comme dirait le client du Palace : je l'aurai un jour...) et que son mariage dure, mais on peut aussi être amener à participer à l'organisation du mariage ou du pot de soutenance de proches, et avoir de l'expérience me semble utile dans ces cas-là, notamment pour gérer le stress des premiers concernés.