J'ai changé. Hélas.
Par Arthur Milchior le lundi 26 janvier 2015, 23:57 - Réflexions - Lien permanent
Je ne supporte que difficilement qu'on me signale que j'ai changé. Que j'ai vraiment changé. Dire que j'ai changé de longueur de cheveux, c'est une platitude vu que je ne les ai pas coupé depuis 2011, pour moi ce n'est pas vraiment un changement. Dire que j'ai changé professionnellement, c'est certain, je ne suis plus étudiant mais doctorant, j'enseigne, je fais de la recherche, j'ai un bureau, un salaire, mais tout ça, c'était «prévu», c'est dans le cours normal des choses, la raison des études. D'ailleurs, ça, c'est pas «changer», c'est «progresser», de même que je progresse en cirque ou en musique en pratiquant.
Mais intellectuellement. J'ai du mal à supporter qu'on me signale que j'ai changé. Et pourtant, j'ai beaucoup changé depuis... Depuis longtemps. Par exemple, sur le physique, je ne comprenais pas ceux qui y faisaient attention, jugeant superficiel et ridicule d'y mettre temps et argent. Eh bien, les cheveux long, ça prend du temps, ça coûte plus cher en shampoing, après-shampoing... Et n'étant ni Samson ni Dixie Kong, ça n'a pas vraiment d'avantage. Donc en fait, les cheveux traduisent un vrai changement, puisque si je fais cet effort, c'est que j'y trouve un avantage. Je suppose.
Je vais prendre d'autres exemples, j'ai trouvé ridicule l'idée de faire un débat sur le mariage pour tous avec que des gens pour, ce qui a été fait par l'association homo de l'ens. À une époque je n'aimais pas le stand-up, partageant l'avis commun «Ils racontent leurs vies, qu'est-ce que j'en ai à faire de leur vie, je veux des histoires, des gags, de l'imaginaire, voir de l'artistique !».
Finalement, j'ai compris où j'avais tort, ou au moins une partie de mon erreur. Je trouvais qu'une bonne journée, c'était une où je n'avais pas besoin de sortir de chez moi, aujourd'hui, je me suis habillé alors que j'étais pas forcé, juste pour aller voir le nouveau one-man d'Alex Ramires[1].
Un dernier exemple, me pourquoi j'arrête d'aller dans un endroit. Si j'arrête d'aller à un endroit, c'est sûrement que j'ai finit par réaliser qu'il n'était pas pour moi, que je n'y avait pas ma place et que j'y ai perdu mon temps.
Eh bien, tout ça me fait me rendre compte qu'avant, j'avais tort. En tout cas que je ne suis plus d'accord avec celui que j'étais. Et comme je crois fondamentalement à l'unicité de la personne, je ne peux pas dire «c'était le moi d'avant qui avait tort», donc j'ai honte. J'ai vraiment honte. Qui pis est, je me sens parfois forcé de m'excuser, de justifier ce que je faisais/pensait avant, reconnaissant par là-même que j'ai été bête.
Qui pis est, si j'ai eu tort quand j'étais si sur de moi, peut-être, envisageons le, que aujourd'hui aussi, j'ai tort, sur des points que je ne soupçonnais même pas ! Et ça fait peur.
Pour résumer, et même si c'est ridicule car c'est le contraire de l'effet voulu: me dire «tu as changé», paradoxalement, même si c'est pour dire «tu as changé en bien», c'est le risque de me donner un sentiment de honte.
Note
[1] Que je conseille toujours, j'adore le côté grand enfant de cet humoriste !
Commentaires
Moi ça m'a jamais posé de problème de me rendre compte que j'avais changé.
Souvent quand je relis des trucs que j'ai écrits, j'ai le même bref sentiment de honte en voyant à quel point j'ai pu être approximatif, imprécis, brouillon, mais j'ai toujours vu ça comme quelque chose de positif, je préfère avoir un regard trop critique sur moi-même plutôt que pas assez (même si j'ai fini par trouver quelques inconvénient à ce côté ultra-perfectionniste).
En fait, à cause de ça, j'ai longtemps cru que le temps qui passait me rendait sans cesse plus intelligent, de façon mécanique (je ne crois plus du tout que ce soit vrai, malheureusement).
Moi le vrai changement qui me dérange, c'est le changement que je subis. La dégradation perpétuelle ou la disparition des parties du monde auquel je tiens, leur remplacement par des trucs dont j'ai rien à faire, les séparations, la mort de proches... Mais aussi tout plein de petits détails. Je me demande des fois si ce n'est pas lié à ma mémoire.
Typhon
Tu obtiens de nouvelles informations, de nouveaux points de vue sur une question, et tu changes d'opinion : ça me semble être une attitude très saine. Personnellement, tant que mes opinions sont conformes avec les données dont je disposais à l'époque où je les ai formées, je n'ai aucune honte à leur sujet.
Moi je me dis que le tas de cellules que je suis aujourd'hui a 0 cellules en commun avec le Moi d'il y a 10 ans, alors ça me rassure... : l'unicité est une construction, pas un processus, ou quelque chose comme ça.
Oui, pareil que nos deux camarades.
L'important est de se rendre compte d'un progrès. C'est de s'apercevoir d'une régression qui serait inquiétant, et encore, puisque ce pourrait être la première étape permettant d'y remédier.
Progrès ou régression pour qui ? De quel point de vue ?
Je fais des choses dont j'aurai eu honte il y a 10 ans. Pour moi c'est un progrès, j'aurai trouvé que non avant.
Un des problème donné n'est pas que j'ai eu tort, c'est que j'étais persuadé d'avoir raison, au point de ne pas avoir cherché à mieux comprendre.
" le tas de cellules que je suis aujourd'hui a 0 cellules en commun avec le Moi d'il y a 10 ans"
A partir d'un certain âge, le nombre de neurones cessent d'augmenter. La durée vécue après ce stade est généralement supérieur à dix ans, en tout cas Je le souhaite.
"De quel point de vue ?"
Du sien. Idéalement, ce qui est bon pour soi est aussi bon pour autrui.
"j'étais persuadé d'avoir raison"
Tu as fait au mieux avec tes connaissances de l'époque. Par la suite, tu t'es rendu compte d'une différence avec la réalité que tu as résolu en changeant ton comportement.
Tout baigne. Tu es un bon scientifique.