L'humour qui ne se moque pas de minorités

Une connaissance me sort, comme ça, l'air de rien, "De toute façon, l'humour, c'est toujours pour rire au dépens d'une minorité. Tous les humoristes se moquent des homos, des blondes, ou des handicapés..."[1], alors là je m'enrage, et ni une ni deux, sans perdre une seconde, mais un jour entier, je met ma menace à éxecution, j'écris un billet de blog, et même que je lui passerai le lien en espérant qu'il le lise[2] !

L'humour n'est pas forcément au dépend d'une minorité. L'humour peut s'attaquer aussi aux puissants pour en dénoncer les dérives et rire d'eux. L'exemple le plus célèbre de France, c'est les guignols de l'info, malheureusement ils ne se sont pas forcément privé de faire des blagues discriminantes. De même que j'aurai envie de partager des chroniques de Guillaume Meurice, qui parle de la loi du "mariage pour tous", en choisissant de se moquer des députés et pas des homosexuels.

Notes

[1] Je ne cite pas au mot prêt non plus

[2] Edis du 1er janvier 2015: c'est marrant, je sais plus de qui je parle ici

Seulement, me répondit-il, là encore, l'humour se moque de quelqu'un. Et là j'étais content, je pouvais enfin lier le fameux billet d'Une heure de peine sur la sociologie de l'humour... mais en fait, on n'était pas sur internet, donc je dois tenter de le paraphraser.

Effectivement, il y a moquerie. Mais on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une minorité. Enfin si, mathématiquement, l'ensemble des député/sénateur, forme une minorité. Mais pas opprimé. Il s'agit de savoir de qui on se moque, à qui on pourrait faire de la peine - en supposant qu'ils nous écoute. Veut-on continuer à propager les stéréotypes sur les homo qui sont tous efféminés, au risque d'effrayer les jeunes qui se posent des questions sur leurs orientation sexuelle et qui ne verront peut être pas d'autres exemple dans les médias. Veut-on se moquer des roux, à qui pourtant on n'a rien à reprocher[1], ou veut-on se moquer des politiques, en tant qu'homme politique, qui ont parfois une influence sur nos vie, à nos frais. Bref, en acceptant l'idée que l'humour ait des conséquences, quels conséquences veut-on ?

Si j'insiste de se moquer d'eux en tant que politique, c'est bien pour préciser que se moquer du physique, ça n'est pas pertinent. Donc, je vais tout de suite faire un mea-culpa, dans la vidéo lié plus haut, Guillaume Meurice se moque de députés, et entre autre de Christine Boutin, via une phrase portant sur sa vie privée et non politique, donc l'exemple n'est pas parfait. Donc j'en profite pour vous lier un plus vieux sketch, L'heure de la vérité vraie des inconnus.


Il est aussi possible de parler d'une minorité sans s'en moquer, sans prendre le partie de la majorité.

Il y a des versions "neutres", ou en tout cas qui ne se moquent pas mais ne dénoncent pas. Ainsi, de plus en plus d'humoristes(en fait, j'en connais que 2, Franck Brusset et Navo, de mémoire car je n'ai pas de vidéo) ont fait des sketchs où ils disent "homme hétérosexuel" au lieu de dire "homme" quand ils parlent de l'envie que suscite une femme. Les blagues ne sont pas forcément moins sexistes-encore que-, mais au moins elles ne sont plus dans un système hétérocentré, ce que je trouve plutôt cool. De même que j'ai vu un autre humoriste[2], dans un sketch imaginer qu'il est homo. Mais pas pour faire la folle, juste pour dire: Là, je me suis regardé dans le miroir, et je me suis dis que si j'étais homo, j'aurai pas envie de moi. Et ça, ça veut dire qu'il y a un problème. Donc je me suis mis à faire du sport. Le terme "homo" est sorti, sans aucune moquerie.

Et il y a ceux qui "dénoncent" et parlent de ce que la minorité subit. Par example La lesbienne invisible[3]. Malheureusement, je n'ai pas l'impression de voir ça énormément en France, et je ne suis pas très calé en humoriste américain actuel, donc j'ai juste envie de vous rediriger vers un bon quart du tumblr d'une heure de peine.

Pour changer de sujet, Guillaume Bats est excellent pour faire penser aux effets du handicap tout en faisant rire. En passant il se moque des valides, c'est vrai. C'est un retournement suffisamment rare pour être mentionné. Mais on peut se demander si c'est un problème. Personnellement je ne crois pas que se moquer des valides ait le même conséquences que se moquer des handicapés.


Enfin, un dernier exemple, l'humour absurde/loufoque. Quand M. Fraize fait un sketch de 4'30'' où il sort une unique phrase, quand André Sauvé parle de la confusion ou quand je joue un fantôme on se moque de qui ?


Enfin, mon interlocuteur, que je lassais peut-être, a reformulé en : 95% des humoristes se moquent des minorités. Et là malheureusement, j'aurai du mal à dire le contraire. Et pas seulement parce que je n'ai pas compté. Et même si je ne sais pas si les humoristes peuvent prétendre au titre de minorité opprimé, d'ailleurs je ne le crois pas même si ce n'est pas un métier facile, je n'ai pas non plus envie qu'on généralise exagérément sur nous. Enfin sur eux, vu que je ne suis plus humoriste, mais j'ai encore beaucoup d'affection pour cette profession.

Ceci dit, pour finir avec mon auto-critique, je n'ai pas toujours été exemplaire, et je n'ai pas toujours réalisé l’existence de ce défaut que je dénonce. Simplement, j'espère que pour le futur je ne tomberai plus dedans, et sinon j'espère qu'on me le signalera.

Notes

[1] à part d'être roux, dirait un humoriste qui se moque

[2] Je suis désolé d'utiliser sa blague, mais c'est l'unique exemple que je connaisse

[3] elle ne fait pas que ça non plus

Commentaires

1. Le lundi 3 mars 2014, 16:43 par Athreeren

Les roux, on peut leur reprocher de fermer leur blog et de ne pas venir aux TP. Comment ça je généralise exagérément ?

2. Le mardi 4 mars 2014, 19:55 par Typhon

Je ne crois pas une seconde qu'on puisse toujours éviter de blesser, choquer ou énerver des gens alors qu'on voulait l'éviter ni, d'ailleurs, qu'on puisse à coup sûr choquer, énerver ou blesser les gens quand on le veut - je pense par exemple à Jean-Marie Le Pen se marrant comme une baleine pendant les sketchs de Pierre Desproges et de Luis Rego.

Premièrement, on n'a jamais la garantie que les autres interprèteront ce que nous disons de la façon dont nous-mêmes l'interprétons.

Deuxièmement, et c'est peut-être plus important, toutes les formes d'art, toutes les formes d'expressions sont d'autant plus puissantes qu'elles arrivent à jouer avec des non-dits, des sous-entendus, des implicatures, des double-sens, bref, de l'ambiguité.

Et bien évidemment, plus l'ambiguité est grande, plus le risque d'être mal compris est grand.

Pour ce qui est de M. Fraize, il y a pas mal de gens qui considèrent qu'il se moque du public ( "Assez, c'est une honte, on se moque du public").
Son attitude est justement pour le moins ambigue, précisément parce qu'il en dit très peu.

Colombi m'énerve pour un certain nombre de raisons, et notamment parce qu'il a l'air de négliger cet aspect des choses, ou du moins de sous-estimer grandement l'importance de l'ambiguité. Pour lui, si quelqu'un se sent oppressé par telle blague ou telle forme d'humour, alors, la blague en question est objectivement oppressive... Les choses sont beaucoup plus compliquées que ça.

Typhon

3. Le mardi 4 mars 2014, 20:43 par Arthur Milchior

Je ne sais pas si des gens lisent les commentaires, déjà qu'à part la phalange je ne sais pas trop qui lit le blog... mais en supposant la population non vide, j'ai peur que tu sois incompréhensible Athreeren (mais ça m'amuse)

Typhon, je commence par préciser que je ne suis pas 100% d'accord avec M. Colombi, même si je trouve ça lecture extrêmement intéressante (au moins pour quelqu'un qui n'a pas l'habitude de science humaine)

Maintenant que c'est dit, je suis totalement d'accord avec tes remarques, le message n'est clairement pas parfaitement transmis. Ça n'empêche qu'on peut réfléchir et choisir le message qu'on envoie pour, non seulement, ne pas prendre tel groupe pour cible, mais en plus éviter ce qui leur serait potentiellement désagréable.

Je vais reformuler ça autrement. il y a tellement d'humour sexiste/homophobe/raciste, etc... qu'il est utile et pertinent qu'il y en a qui cherchent au contraire à lutter contre avec leur humour.
Bien sûr, il y a un entre deux, il y en a qui sont à la limite. Par exemple Pierre Emmanuel Barré, quand il dit "L'humour misogyne, c'est comme les femme, c'est limité". Une phrase qui m'a fait éclaté de rire, justement car je ne saurai pas de quel côté la ranger !

Mais ce n'est pas parce que l'entre deux est mal défini qu'il n'est pas pertinent de parler des extrêmes. Et c'était le sujet de ce billet, en répondant à une connaissance qui ne voyait que l’extrême.

Quant à énerver les gens "contre" qui ont fait de l'art, ce n'est pas forcément indispensable. Si on prend ce sempiternelle exemple de Desproges (que j'avais voulu éviter car trop classique), il peut aussi convaincre des auditeurs indécis, et montrer à ceux opposer au FN qu'ils ne sont pas seuls.

Pour M. Fraize, je sais que certains ne l'aiment pas. Je n'aurai pas pensé à utiliser moquerie dans ce sens, mais je suis forcé de reconnaitre que tu répond à ma question.
Ce qui m'amuse, car, à la limite, j'aurai plus dit qu'il se moque des autres humoristes qui en font des tonnes en montrant qu'on peut faire bien avec si peu.

4. Le mardi 4 mars 2014, 22:18 par Typhon

« montrer à ceux opposer au FN qu'ils ne sont pas seuls. »

Oui, enfin, à une époque où le FN faisait moins de 5%, je ne sais pas si c'était sa préoccupation principale.

« "L'humour misogyne, c'est comme les femme, c'est limité". Une phrase qui m'a fait éclaté de rire, justement car je ne saurai pas de quel côté la ranger ! »

Y a aussi le "je suis contre les femmes. Tout contre." de Guitry et le célébrissime "Le racisme c'est comme les arabes, ça ne devrait pas exister", de Coluche, qui a du inspirer P.E. Barré en l'occurrence.

« Pour M. Fraize [...] j'aurai plus dit qu'il se moque des autres humoristes »

Il n'y a qu'à voir les réactions qu'il suscitait dans ONDAR. Benguigui avait qualifié son système de "comique par exaspération", ça veut quand même bien dire ce que ça veut dire.
Et je ne sais pas s'il cherche explicitement à moquer les autres humoristes, mais tu vises juste en ce qu'il vise le minimalisme. Il essaie de faire le moins de chose possible, tout en restant comique (et on voit effectivement mal comment en faire moins que lui, à moins de rester allongé pendant tout le sketch, voire de ne pas monter sur scène).

« Mais ce n'est pas parce que l'entre deux est mal défini qu'il n'est pas pertinent de parler des extrêmes »

Je suis d'accord, mais je crois que beaucoup d'humour, beaucoup de bon humour flirte avec une limite, d'une façon ou d'une autre :
M. Fraize flirte avec le fait de ne rien faire du tout, l'humour noir flirte souvent avec des choses particulièrement horribles...

(Quand il ne va pas carrément provoquer le rire en accumulant des éléments choquants jusqu'à ce que ce soit suffisamment absurde pour être drôle : http://maadiarcochon.blogspot.fr/20... Là, je suppose qu'on flirte avec la limite par l'autre côté)

Ce qui n'empêche pas de combattre les blagues de beauf, qui pis est entendues cent fois, bien sûr.

Je rajoute à ce que j'ai dit précédemment que l'on ne choisit pas toujours son public.
Le corollaire de la loi de Poe, c'est que pas mal de gens prennent des blagues au premier degré (the onion notamment), et inversement, que des tracts écrits au premier degré deviennent involontairement comiques (par exemple les pamphlets de Jack Chick).

Typhon

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet