Pourquoi je suis un homme
Par Arthur Milchior le mardi 31 mai 2016, 17:29 - Genre - Lien permanent
Un blog aujourd'hui disparu et pour qui j'avais énormément d'affection a écrit:
Une question récurrente que les personnes cisgenres posent c’est « pourquoi est-tu trans ? ... D’abord, cette question ne devrait pas se poser que pour les personnes trans. En effet, pourquoi une femme cis est femme, pourquoi un homme cis est homme.
Cette citation me permet donc d'expliquer[1] la question de «pourquoi je suis un homme/cis». D'autant qu'un-e amyi me demande régulièrement[2] pourquoi je ne suis pas non-binaire.
La meilleure réponse que j'ai trouvé jusqu'à présent est: parce que j'ai 28 années d'expériences à être un homme. Ça donne une sacrée force d'inertie à ce fait.
En fait, c'est la meilleure réponse que je trouve, car c'est à peu près la seule aussi. S'il n'y avait pas de notion de genre, ou qu'elle soit facultative et pas présupposé, ça m'irait aussi très bien. Quand je suis rasé, on me dit régulièrement madame[1], je ne reprend jamais. Mais je ne ressens pas non plus quoi que ce soit qui me fasse dire que je suis non-binaire, ou agenre ou quoi que ce soit... J'ai pas de disphorie, pas de problème avec le fait d'être traité comme un garçon. Donc, même si je ne ressens rien qui me fasse spécifiquement dire que je suis un garçon, je ne ressens rien qui me fasse dire que je suis quoi que ce soit d'autre en terme de genre. Or, de ce que j'ai lu et entendu, il semble que beaucoup de non-binaire ressentent le fait qu'ils soient non binaire, avant de mettre des mots dessus.
J'écris au dessus que je ne me pense pas homme. Geek est un point qui fait bien plus parti de mon identité que mon genre, de mon point de vue. Tout comme je mettrais mathématicien bien avant ma couleur de peau dans ce qui fait parti de mon identité. Mais il me semble que, ce que la comparaison entre ces deux exemples montre, c'est pas que je suis non-binaire. C'est que je suis dans une société où les hommes sont - en moyenne - privilégié, où mon genre est le genre par défaut, celui qui permet les histoires «universel»[2], que je ne vis pas un certain nombre de problème sexiste dont des tas de femmes peuvent témoigner. Et j'ai beau ne pas tenir à mon genre, c'est quand même pratique de n'avoir jamais de doute sur ce que je peux me permettre de cocher sur les formulaires administratifs, donc je profite du fait d'être cis.
Tout ça pour dire, je n'ai jamais eu autant besoin de réflechir à ce qu'impliquait le fait d'être un homme, comme j'ai pu avoir besoin de reflechir à ce qu'implique d'être non-hétéro et poly.
Enfin, en supposant que le fait que je ne ressente pas spécifiquement le fait d'être un homme pourrait potentiellement me pousser à me dire non-binaire, il reste un point. De deux choses l'une: soit ça n'a aucun effet sur le reste de la vie, sur les interactions avec les gens... dans ce cas, j'ai un peu l'impression que ça n'est pas plus pertinant pour moi de discuter de ça que de discuter de savoir si je suis un zombi philosophique. Ou alors ça a des effets, et dans ce cas, ça a quand même l'air super compliqué, parce qu'il faut reexpliquer sans arrêt ce que c'est à des gens qui pensent que c'est n'importe quoi, que ça n'existe pas, qui ne comprennent pas comment s'adresser correctement à la personne[3], etc... Certes, ces explications, je les fais parfois, mais dans un cadre temporel et géographique délimitié, ça serait très différent si ça devenait être quelque chose à faire en permanence. Et franchement, de mon petit point de vue personnel, pour moi, ça ne vaut pas le coup.
Notes
[1] et quand je suis rasé aussi, mais uniqumenet au téléphone.
[2] vu qu'une histoire avec une héroïne est souvent faite uniquement à destination des filles, etc...
[3] Et parfois je me goure aussi sur la manière de s'adresser à quelqu'un. À ma décharge, j'ai déjà du mal à retenir les noms des gens. Au bout d'un moment, je commence à avoir du mal à retenir les genre.
Commentaires
*approuve*
J'ai pu me poser la question de ma place sur le spectre genré, et, comme toi, je n'ai pas de sentiment de neutralité, bigenrité ou agenrité. J'ai fini par me positionner comme "une femme qui préférerait que ce genre ne soit pas perçu comme étant une masse de traits de caractères et comportements négatifs", parce que cet appel hors du féminin, j'ai fini par le comprendre comme de la misogynie intériorisée. (Sans que ça fasse de moi une TERF hein : je ne parle que de MON cas et je n'ai rien à dire aux AFAB hommes, neutres, bigenres ou agenres).
Ce que tu dis au milieu de l’article me rappelle une discussion que j’avais eu avec un amie trans il y a quelque temps. Je lui disais que mon parcours académique était une part plus importante de mon identité que mon genre, puisque je pense que si j’avais été née fille, j’aurais probablement aussi fait des études, peut-être pas dans les mêmes domaines, mais très probablement jusqu’au même niveau. Un jour, si tout se passe bien, je serai docteur, et je compte bien cocher la case Dr. dans les formulaires à chaque fois qu’elle me sera proposée. Mais sinon je continuerai à choisir M. sans en subir de dysphorie pour autant : il semble que mon identité d’académique ne soit pas aussi importante que son identité de genre, même si elle est plus important que la mienne propre.
Tiens, c'est bête mais il m'est arrivé un truc récemment auquel je repense en reprenant cet article. J'avais la voix cassée et un collègue m'a saluée d'un : "bah alors, t'as changé de sexe ?" J'ai perdu mon sourire et je lui ai dit de pas faire cette blague.
Et je ne sais pas quelle était la part de "dire que j'ai changé de sexe à cause d'une extinction de voix c'est méprisant pour les trans" et quelle était la part de "ma féminité n'est pas remise en cause par une laryngite" dans ma réaction. Pas si neutre que ça, serais-je.