The Game, la drague

J'ai lu «The Game». J'en ai un peu honte. Et j'ai envie d'en parler, et donc DE LE SPOILER. Pour dire à quel point c'est mal, même XKCD semble ne pas aimer ce livre.

Un peu de contexte: Visiblement, ce livre c'est la bible des virtuose de la drague. Une communauté assez détesté par des tas de gens que j'aime, car profondément intrinsèquement sexiste. Intrinsèquement ! Car si l'informatique est sexiste de fait, on pourrait imaginer que ça soit corriger, certaines association luttent dans ce but. Mais les techniques de dragues qui supposent que toutes les femmes s'obtiennent de la même manière, c'est pas réparable.

Pleins de choses m'ont fait finir ce livre :

D'abord, comme il est haï, il prend un goût d'interdit qui donne envie de le lire.

Il déclare s'appuyer sur la méthode scientifique. En tant que scientifique, c'est passionnant de voir comment des gens, sans une once d’épistémologie, arrivent à utiliser la science pour leurs fins. (Avec le problème que des femmes qui n'ont rien demandé deviennent cobaye et se font ennuyer par des manipulateurs).

Ce n'est pas un aride manuel, ni une étude, c'est un roman. Et en tant que roman, il est plutôt bien écrit. l'histoire suit à peu près le monomythe. Le héros-narrateur ne sait pas s'y prendre avec les filles (dans leurs jargon: pauvre mec frustrés): Son appel à l'aventure est le fait de savoir que ça peut s'apprendre. Le cheminement, c'est les cours de drague, l'évolution dans ce monde: il apprend à chopper, il devient assistant, puis professeur, se lance dans des projets, certains réussissent, d'autres échouent. Suivi d'un éloignement de ce monde pour finir en en sachant plus sur lui et la nature humaine, avec une femme qu'il a eu «éthiquement», i.e. tout est bien qui finit bien, y a un vrai amour qui ne vient pas de la drague. Pour dire ça autrement, il finit l'histoire non pas avec ce qu'il pensait chercher, mais avec ce dont il avait besoin. Un classique de scénario. En plus il se fait avoir par un manipulateur meilleur que lui, il est puni par là où il a pêché.

L'histoire à un attrait proche des livres fantastiques, c'est un monde parallèle aux nôtres, et qui pourtant se déroule dans notre univers. Il y a un côté halluciné à lire ça, comme dans tout texte racontant la vie d'un autre peuple.

Et puis, il y a le côté moqueur. Les pauvres hétéro, ce qu'il faut pas faire pour amener quelqu'un dans son lit.

Et le héros-narrateur est attachant. Il a ses buts, ses ambitions, et ce n'est pas un monstre froid et calculateur. Il prend régulièrement du recul pour signaler certains travers, et me regagne de son côté. Même si, après avoir lu pas mal de texte contre les virtuose de la drague, je vois des problèmes qu'il oublie de signaler, principalement ceux qui nécessiterait de prendre comme point de vue une fille que lui et que ses élèves ont «dragués». Bref, en oubliant que dans la vraie vie, ces filles existent et ne sont pas que figurantes des histoires des «virtuoses».


Il y a alors plusieurs points qui sont désagréables, qu'on peut résumer en : tout ce qui rappel ce livre.

D'abord, il y a le fait de voir ces techniques chez les autres. Pas spécialement pour la drague, en général, c'est plutôt moi qui prend les devants. Mais ces techniques peuvent être utilisé pour d'autres choses. En particulier, cet ex-ami a appliqué littéralement quelques tactiques de ce livres sur moi. Et j'ai accepté de faire pour lui des choses que je n'aurai peut-être jamais accepté s'il ne savait pas manipuler. Je l'ai aussi vu draguer, et parfois emballer, des filles, avec des choses lues dans ce livre.

Ainsi, il est conseillé de mettre des vêtement bizarres et extravagant, tape-à-l'œuil. Mais quand je vois des gens faire ça, je me demande si c'est pour plaire, ou parce que ça plait à celui qui les porte. Pour soi ou pour les autres. En tout cas, ça me plait; quand je regarde sur google les photos de Mystery, le second personnage principale, je suis forcé de reconnaître que je le trouve sexy ! Il y a aussi de l'envie, car un certains nombres de trucs que je n'oserai pas porter à cause des réactions que j'aurai peur d'avoir. Ou parce que certains piercing, aussi joli qu'ils soient, sont trop marquant et que je ne sais pas à quel points ils seraient acceptés.


Et puis, il y a ce que moi je fais. Je me pose souvent la question de savoir si je manipule. Outre la question de savoir ce que signifie ce terme.

Je prend un exemple simple: il semble que si l'on pose une question fermé, les réponses obtenues sont plus souvent «oui» que «non», donc la formulation d'une question n'est pas anodine. Dire «Eh, tu viens toujours demain ?», c'est pas la même chose que «Eh, t'as pas oublié pour demain ?». En posant à quelqu'un ce genre de question, je me demande donc si je manipule, pour avoir la réponses que je veux, plutôt que la réponse qu'il voulait donner.

Or, puisqu'on parle de drague, on parle de plaisir, je veux que l'autre ait envie de me voir, je ne veux pas penser l'avoir forcé, je veux répondre à son envie[1]. Je suis content d'oser draguer, car ça a parfois des résultats, parce que ça me permet de me rapprocher de gens qui n'auraient pas eu le courage de venir vers moi. Ça permet de faire découvrir des choses. Mais d'un autre côté, j'ai toujours peurs qu'ils découvrent ces choses, non pas par envie, ni par vraie curiosité, mais juste parce que la timidité fait dire «oui» parce que dire «non» est effrayant. Et même si quand on me dit «pourquoi pas», ou «si t'as envie», je répond «c'est pas très encourageant comme ça», même si je force l'autre à reformuler, a dire ce dont il a vraiment envie, et pas juste à se laisser faire, j'ai toujours peur d'en faire trop.


Parlant de drague et de manipulation, j'ai justement expliqué à une personne qui me plait beaucoup que si je ne lui ai pas dit tout de suit qu'il me plaisait c'était pour être sûr de ne pas le faire fuir, car j'avais besoin qu'il rende un service, à moi et un groupe d'amis. Ce service, il me l'a rendu. Il dit que j'ai fait ça, ne pas le draguer, pour le manipuler. Ça me parait étrange de manipuler en ne draguant pas, mais en fait il a raison, puisque j'ai adapté mon comportement en cachant quelque chose pour obtenir un résultat. Je pensais que ce résultat aurait peu d'influence sur lui, je crains que ça en ait eu plus que ce à quoi je m'attendais, plus que ce qu'il voulait en acceptant.

Et si je dis que j'ai peur de le faire «fuir», c'est bien que j'ai aussi peur d'en faire trop. Deux questions se posent: qu'est-ce qui est «trop» de leur points de vue ? Et du mien ? Le leur, je ne peux pas savoir, donc soit je ne fais rien (et attend d'être dragué, avec l'inefficacité dont je parlais plus haut), soit je dépasse la limite de certains. Dépasser la limite ne me dérange pas; un exemple tout simple, des hommes sont très mal à l'aise à l'idée qu'un homme les drague. Je n'ai pas honte de le faire. Par contre, j'aurai honte d'insister si quelqu'un me dit «non», ou juste me montre qu'il n'est pas intéressé. Mais «montrer», c'est vague, et tout le monde n'a pas le même rapport avec le langage du corps, c'est encore plus vrai avec les gens qui sont plus à l'aise en interagissant avec une machine qu'avec un humain, ou avec des neuroatypiques. Et puis, est-ce que dire à quelqu'un qu'il me plait, c'est draguer ? Je sais que pour certains, oui, pour moi, non. C'est factuel.

C'est là où je dirai que je suis timide, parce que j'ose faire des choses, mais que la peur de mal faire me quitte rarement. Je ne donnerai qu'un exemple; un jour, quelqu'un m'a dit «stop», ce qui fait que j'ai arrêté ce que je faisais. Il en a été surpris, et plus tard m'en a remercié. J'ai trouvé ça triste que ça soit surprenant, à cause de ce que ça implique. J'ai souvent cette peur d'être celui à qui on a pas osé dire stop, et qui va trop loin car je n'ai pas su lire ce que pensait l'autre. D'autant que chaque personne a des comportements différents, et l'expérience m'a montré qu'on ne peut pas compter sur le fait qu'on sache comprendre sans mots une personne pour en conclure qu'on saura comprendre sans mots les autres.

Je crois que je ne cherche pas à manipuler, justement car je suis direct, que j'aime la clarté. Et aussi car, souvent, une fois que le «non» est clairement dit, ça n'empêche pas d'avoir des discussions passionnantes sur tout un tas de sujet, et que moi, ça m'évite de me demander si je pourrai câliner plus tard.

D'un autre côté, j'aurai du mal à jeter la pierre à ceux qui croient à «The game». Comme je le dis, j'ai une chance énorme niveau drague: je peux me permettre d'être direct, d'être clair, ça ne fait pas trop souvent fuir, au pire, ça me fait passer pour excentrique; et de fait, je trouve sans trop de difficultés des gens. Je ne peux pas blâmer ces gens sans d'abord «checker mes privilèges». Et j'en ai beaucoup. Ne serait-ce que, par exemple, avoir un studio où je peux accueillir des gens, vivre dans une grande ville, donc dans un lieu facilement accessible d'à peu près n'importe où, ou encore le fait de n'avoir pas de handicap qui gênerait des gens.


Un billet ayant un peu tourné chez les polyamoureux, expliquait en gros que le polyamour en pratique va faire que ces gens chanceux (appelons la C), comme moi[2] qui se retrouveront avec le plus de relation (appelons la R), et d'autres (appelons la A) avec encore moins de chance de se trouver quelqu'un. J'ai envie de répondre que si A finit avec R que parce que R ne trouve personne de mieux, ça me semble un peu triste. Parce que, d'un point de vue de polyamoureux, si R est vraiment amoureux de A, il peut être avec A et C à la fois.

Mais je suis bien forcé de reconnaître que dans le vrai monde, cette réponse optimiste a peu de chance de vraiment se produire. Et donc je rejoins ce billet sur au moins un point, le polyamour n'apporte aucune solution à ces problèmes de privilèges. Même si je ne suis pas convaincu que ça les aggrave. Ça montre qu'il faut toujours se les poser. Et en tant que privilégié, je ne vois pas comment je pourrais blâmer quelqu'un qui aurait recours aux techniques de dragues de The Game. Certes, cette solution me parait vraiment mauvaise, mais pour faire une comparaison hasardeuse, le vol me parait une mauvaise solution, mais n'ayant jamais eu de souci d'argent, il serait trop simple de juger d’emblée tout les voleurs, sans même m'être intéressé aux causes et aux motivations.

En conclusion de quoi je dirai que The Game est grosso modo un bon livre, mais pas pour les raisons voulus par l'auteur, juste parce qu'il m'a donné pas mal de sujets de réflexions, ne serait-ce que pour comprendre comment il est un mauvais livre.

Notes

[1] C'est différent dans un cadre professionnel. Je me verrais bien dire: «Eh, vous vous souvenez que vous devez rendre votre devoir demain ?». Les étudiants n'ont peut-être aucune envie de le rendre, mais ce n'est pas la question.

[2] Et encore, je ne suis pas un canon de beauté, même que quelqu'un me disait il y a quelques temps que c'était à cause de mon poids que je ne me trouvais personne... ah ah...

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