Réflexions liées aux transitions d'amies

Une amie a écrit un texte, que je trouve fort intéressant, Votre deuil justifie ma transition[1], qui me questionne pas mal. En très gros résumé, tel que je comprend le texte, je lis «si vous faites votre deuil quand je vous annonce ma transition, c'est qu'une transition a effectivement lieu dans votre manière de me considérer.»

En 140 caractère, ma question était «Je ne peux m'empêcher de me demander. Si j'ai jamais fait ce genre de deuil, est-ce un signe que je ne tiens pas compte de vos transitions ?».

Note

[1] Copié avec la permission de l'autrice.

C'est un billet assez compliqué à écrire[1]. Je n'aime pas trop parler d'une personne en particulier, écrire quelque chose de trop personnel. Je préfère coucher sur ce blog des questionnements assez généraux, qui pourraient s'appliquer à des situations reproductibles. Sauf qu'ici ça risque d'être peu reproductible. J'ai pas des dizaines de proches qui entament une transition tous les ans[2]. Si encore tout le monde transitionait pour les même raisons, alors réagir au texte mis en lien plus haut serait aussi une réaction aux transitions de mes autres ami-e-s. Mais il semble que les gens soient des individus distincts pouvant avoir des raisons très diverses de transitionner[3].

Bref, ce billet est tellement peu général qu'il serait presque plus pertinent que je discute simplement de la question avec cette amie, et quelques proches potentiellement concerné-e-s par ce genre de sujet. Il est pas clair qu'il soit pertinent que je partage la réflexion au reste des lecteur/trice-s. Sauf que je n'ai rien à demander à cette amie. De ce qu'elle m'a répondue, de ce que je peux deviner de nos interactions, il n'y a pas de problèmes qui me concernent, pas de demande que j'agisse autrement avec elle. Donc toute ma réaction à ce texte est une réflexion purement personnel qui n'a pas de raison de la concerner. Enfin si, ça peut la concerner uniquement en ce que son texte est la cause de la réflexion[4].

Rappel de la question

Contrairement aux gens mentionné dans le texte cité plus haut, je ne fais pas de deuil quand un-e proche me dit transitionner. Le seul effet que cette annonce à sur moi est le suivant. J'ai, pendant quelques temps, des nœuds dans le cerveau à essayer de ne pas me gourer quand je formule des phrases. Au point que, parfois, je réemploi l'ancien genre de la personne par accident. Ou bien je me met à accorder des adverbes, ou des adjectifs se référant à d'autres gens de la conversation. Et ensuite je présente mes excuses. Ces nœuds dans le cerveau, j'ai les mêmes quand je tente de me souvenir qu'il faut dire septante et nonante mais PAS huitante/octante[5]. Remarquez que je discute juste de l'effet dans mon esprit, je ne dis pas que être mégenrer est aussi peu grave qu'utiliser un mot d'un autre pays.

Vu que ces nœuds cérébraux ne sont clairement pas un deuil, qu'est-ce que je dois conclure du fait que je ne fasse pas ce deuil. Si j'en crois ce texte, ce deuil est signe qu'une action positive a lieu. L'action de «considérer la personne dans son genre». Il me semble donc que que ne pas faire ce deuil est mauvais signe. Mauvais signe ne signifie pas nécessairement que ça soit mauvais en soit, mais ça signifie au moins qu'il faut envisager que ça soit mauvais. D'où la réflexion entamée dans ce billet.


%

L'interprétation optimiste du fait que je ne fasse pas de deuil, c'est: je ne considère pas le genre des gens quand j'interagis avec eux/elles. Ou en tout cas je le considère de manière limitée.

Un premier exemple de considération que j'ai, qui dépend du genre d'une personne. Je sais que si quelqu'un a une apparence féminine, elle a plus de risque d'avoir été harcelée, agressée, de moins se sentir en sécurité dans la rue tard. Voir que, si elle se fait agresser dans la rue tard, il risque d'avoir des policiers qui rejettent la faute sur elle car elle aurait du savoir que c'était risqué. Bref, que je considère le genre en tant qu'il influe comment les autres vont considérer la personne.

Mais même en excluant les raisons liés à des tierces personnes, malheureusement, dire que je ne tiens pas compte du genre est faux. Pour deux raisons.

Drague

La drague est un cas où je reste très biaisé par le genre que je pense que la personne a. Je ne me souviens pas avoir dragué quelqu'un que je suppose être de genre féminin depuis que j'ai quitté l'école primaire[6](Non pas que j'utilisais ce vocabulaire à l'école primaire). Je peux imaginer tout un tas de cause à ça, mais ça serait listé dans un autre billet.

Bon, la drague, en général, c'est un effet à court terme, ça influe pas énormément ma manière d'être avec quelqu'un-e. À quelques très rares exceptions près, quand je signal à quelqu'un mon intérêt, celui-ci n'est pas réciproque. Donc l'interaction reprend comme avant. Mais dans les rares cas de dragues réussis, forcément, ça influence beaucoup l'interaction que j'ai avec cette personne. Prenons le cas d'une amoureuse que j'ai connu et dragué avant qu'elle commence une transition sociale. Le fait qu'on soit ensemble aujourd'hui est une conséquence directe du fait que j'ai cru qu'elle était un homme. Ceci indépendamment de la question de savoir si je la considère «vraiment» comme un homme ou comme une femme aujourd'hui.

Pour résumer, le genre que la personne semblait avoir à notre rencontre a une influence importante, en particulier dans le cas des gens qui me sont les plus proches aujourd'hui. Donc je ne peux pas dire sérieusement que le genre de quelqu'un n'a pas d'importance.

Certes, cette amoureuse, si je ne l'avais pas dragué, on serait peut-être devenu amis, à défaut d'amoureux/se. Après tout, je ne l'aime pas que pour son physique, aussi mignonne soit-elle. Je met même une probabilité assez forte à ce que ce soit devenu, dans tous les cas, quelqu'un que j'apprécie de revoir et avec qui j'apprécie de discuter. Donc on pourrait imaginer de façon naïve que, finalement, le genre que j'assignais à cette personne lors de notre rencontre ne change pas grand chose, à part des câlins. Malheureusement, c'est encore faux. Parce que je me sens beaucoup plus à l'aise d'inviter cette personne à venir passer un week-end chez moi, où à aller dormir chez elle, sous prétexte qu'on est pas que ami. Je me verrai proposer à «juste un-e ami-e» de venir passer du temps dans mon studio, en ma compagnie, sans rien de précis à faire, juste pour profiter de la présence de l'autre. Et forcément, par cercle vertueux, plus on passe de temps ensemble, plus la complicité naît, et plus la relation évolue. La relation que j'ai avec elle au bout d'un peu plus d'un an, la confiance que j'ose lui porter, ce n'est pas inédit. Il y a d'autres amis à qui je fais vraiment confiance[7], à qui je pense que je peux demander des choses importantes si besoin[8]. Mais ces amis, ça m'a pris des années d'arriver à leur faire confiance à ce point.

Autrement dit, quand bien même je supposerai que le genre que j'assigne à la personne lors de notre rencontre n'influence pas ce que la relation va venir, ça influence au moins la vitesse à laquelle la relation évolue.

Biais

L'autre raison pour laquelle je ne crois pas qu'il soit vrai que je ne tienne pas compte du genre des gens que je vois est le suivant. la société est biaisée, j'ai grandi dedans. Il est incroyable que j'ai réussi à me débarrasser des biais. En particulier, j'estime qu'il est totalement impossible que je me sois débarrasser de mes biais sans même avoir du faire un effort pour obtenir ce résultat.

Le gros souci, pour moi, c'est que je ne connais pas mes biais personnels. Je n'ai donc pas d'idée de ce que je devrai corriger si je voulais faire l'effort d'effectivement corriger. Si j'en crois le texte qui m'inspire ce billet - ainsi que beaucoup d'autres témoignages de personnes trans - les biais de la société en général sont extrêmement clair quand on a été perçu des deux genres. Mais connaître un biais global donne peu d'information sur une personne biaisé en particulier[9]. Donc ça ne me dit pas comment me corriger pour ne pas être biaisé moi. Au mieux, ça m'indiquerait comment corriger pour être biaisé dans un sens opposé à celui de la société, pour faire une moyenne.

Et puis, pour être honnête, l'absence totale de biais, dans l'absolu, ne m'apparaît pas comme un but en soit. Mais plutôt comme un moyen. Un but pourrait être que les autre soit à l'aise dans notre interaction. Et dans les autres, j'inclue aussi bien les gens que je connais déjà que ceux que je pourrai connaître plus tard. Gens qui, de toute façon, ne pourraient pas me dire le biais qu'ils ressentent. Concernant les gens qui me sont proche, mon but sera que notre interaction plaise à l'autre. Et c'est un but qui semble être possible à atteindre sans avoir la certitude testé scientifiquement du fait que je ne sois pas biaisé de manière statiquement significative. Alors me poser plus de question me semblerait inutile[10].

Notes

[1] En particulier parce que je n'avais plus de blog pendant quelques mois, et que c'est plus simple d'écrire si je m'attend à pouvoir partager après.

[2] Même si la fréquence des transitions autour de moi augmente pas mal depuis quelques années. Ce qui est pas compliqué vu qu'il y a 4 ans, elle était de 0 transitions par ans.

[3] Par oppositions aux raisons de ne pas transitionner, qui semblent majoritairement être: «mais pourquoi est-ce que je transitionnerai ?»

[4] Et que je lui ai demandé d'accepter que je publie ce texte, avant de le mettre en ligne, vu que quand même, ce texte la mentionne.

[5] À ce sujet, les belges sont BIEN plus tolérant de mes soixante-dix (j'ai faillé écrire «70») que les français ne le sont de mes septantes.

[6] À l'école primaire, j'embrassais des filles de forces. J'en suis pas fier. Et j'ai pas souvenir que des maitre-sse-s aient tenté de m'arrêter. En entrant au collège, je m'étais dis que j'étais grand, et donc que j'arrête d'embêter les filles. Selon le psy que j'ai vu au lycée, ça pouvait être ce qui m'a rendu gay.

[7] Ça fait des années que j'ai envie d'écrire un billet sur la confiance, mais je n'y arrive pas.

[8] Un exemple bête: confier à quelqu'un un double de ma clef. Comme ça, si je m'enferme dehors, je peux demander la clef à cet personne. Mais faut que je sois certain que la personne en profite pas pour me cambrioler.

[9] Pour prendre du vocabulaire rationnaliste, ça serait un ecological fallacy.

[10] Assez ironique comme phrase, vu la longueur du billet.

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