Reprendre des gens

J'ai, ces derniers temps, un problème que j'ai pas vraiment vu traiter dans les blogs de gens bénévoles/militant que je suis. Comme montré par sinfest, quand on commence à voir des discriminations, on les voit un peu partout, dans des trucs invisible à la majorité des gens. Et donc, que faire dans ce cas là ? C'est une question suffisamment problématique pour que ce billet ait traîné plusieurs mois dans mes brouillons avant que j'en sois satisfait.

Que faire quand quelqu'un a un propos problématique. Les deux extrémités sont:

  • Rien. C'est d'autant plus simple que j'ai quand même une situation ou elles ne s'appliquent pas à moi. Mais dans ce cas, pas d'IMS.
  • Signaler tout le temps et sans arrêt dès que je le vois. Mais c'est épuisant, pas forcément efficace, et surtout risque d'énerver tout mon entourage.

Alors voici ce que, à titre personnel, j'ai choisi comme compromis:

D'abord, ça devrait être évident, ne pas reprendre les gens concernés. Par exemple, ne pas expliquer ce qu'est la biphobie à quelqu'un de bi, d'autant que je suis principalement monosexuel[1]... sauf que, il y a des exceptions:
Parce que, après avoir été formé, je peux connaitre des chiffres ou des anecdotes que la personne bi n'a pas vécu, donc je peux lui donner des informations générales, tant que ça ne concerne pas son vécu à lui/elle. Lui dire comment ça se passe pour d'autre.
Un exemple tout bête, une fille rencontré récemment était lesbienne et est devenue bie. Elle s'est plain de la bisexualitéphobie, car 90% de ses potes lesbiennes on arrêté de lui parler. Je me suis permis d'être surpris par ce mot, car je ne connaissais que «biphobie» comme terme.

Et puis parfois, on ne sait pas que la personne est concerné. J'ai fait des avances à un garçon sympa et mignon. Il m'a dit, «désolé, je suis pas intéressé, je suis pas gay.», ce à quoi j'ai répliqué qu'il pourrait très bien être bi, c'est dommage de les oublier. Bah, en fait, il a juste voulu m'éconduire poliment, car il est bi.

Bref, j'ai expliqué la biphobie à des bis.


Dans le même style d'idée. En milieu safe il est souvent dit que l'on ne peut pas savoir ce qui relève de telle discrimination si on ne la vit pas. Typiquement, le harcèlement de rue, un homme n'a pas à dire «tu te fais des idées, t'es trop succeptible», car il ne se rend pas compte ce que c'est de le vivre[2]. Sauf qu'en pratique, c'est dur d'accepter aveuglément. Je m'en vais vous narrer deux anecdotes.

Quand j'ai découvert l'hômonerie, association LGBT de l'École normale supérieure, à la réunion de rentrée salle des actes, une belle salle de réception, un élève trans s'est mis à fumer. Un autre lui a demandé de sortir pour fumer. Il parait que c'est transphobe. Je vous explique le raisonnement: il fume pour se détendre, il est tendu à cause de la transphobie. Et là, des gens tente de faire partir un trans de la réunion LGBT. Ergo, c'est transphobe. Pour tout vous dire, je ne suis pas convaincu.

J'ai croisé dans la rue un homme noir et une femme blanche qui se criait dessus: «Arrêtez vos remarques sexiste
-C'est vous qui êtes raciste.
-Je ne vous permet pas de dire que je suis pas raciste, vous me dites ça car je suis une femme»,
etc... Ben, en vrai, j'ai aucune idée de qui était quoi, ni de la cause de l'incident. Mais je suis pas convaincu non plus que ça soit forcément ces questions là qui étaient en jeu.


Un cas où je signale systématiquement les problème, c'est quand je suis relecteur. Je ne sais pas pourquoi je relis, 3 fois sur 4, les gens tentent de m'expliquer ce que je n'ai pas compris et me disent que j'ai tort. Me demandent ce que je pense honnêtement et sont vexé quand je dis que je ne suis pas emballé.

Récemment, j'ai relu un texte qui parlait d'une belle femme «qui ferait tourner la tête à n'importe quel homme». Je me suis permis de signaler le côté hétérocentriste du truc. Ça me gène pas forcément, c'est une œuvre de fiction, ça a pas vocation à être parfaitement safe, c'est cohérent avec l'univers, l'intrigue et le style restent bon. Et, attention vous allez rire, ça m'empêche pas de lui corriger des fautes d'orthographe. D'abord, l'auteur m'a dit «n'importe quel homme hétéro ou femme lesbienne»[3] serait lourd. Et personne ne connait le mot «gynosexuel». Ceci dit, je crois qu'il a finit par reformuler.

Quelques mois plus tôt, un copain qui fait des vidéo youtube[4] en a écrit une sur le thème des LGBT. Qui j'espère sortira un jour, car elle est cool et que j'aime bien ce qu'il fait. Je lui fais quelques petites remarques, par exemple concernant les pans «comme le capitaine Jack Harkness». J'étais dubitatif, car certains disent que le capitaine est «omnisexuel», c'est donc pas évident. Et en plus, utiliser l'attirance envers les extraterrestre donne une image étrange des «pans» aux gens qui n'avaient jamais entendu ce terme avant. Mais c'est un détail.
Mais surtout, il parle de sexualité au lieu de parler d'orientation sexuelle. Or la sexualité réfère à la pratique, alors que l'orientation réfère à l'attirance. Et c'est un souci régulier, quand on pense aux LGB, les gens ayant des clichés pensent à ce qu'ils font au lit et pas à leurs amours, et le terme «sexualité» entretient la confusion. Son argument est qu'il est contre l'utilisation de nouveau terme, que ça stigmatise encore plus, et... j'ai pas tout compris. Quant à Jack, il y a des sources qui le disent «pan».
Bref, je sais pas pourquoi il m'a demandé de relire.


Enfin, il y a des cadres un peu limite, où je reprend plus épisodiquement. Par exemple, les gens qui emploient comme insulte des mots tels que «enculé» ou «elle est blonde». En général, je réagis pas, je fais juste un soupir... pour pas être lourd et énervant, ne pas tomber dans ce clichés des militants avec qui on ne peut rien dire. Sauf dans deux cas:

  • si on est dans un lieu qui a vocation à être safe. Par exemple, une personne qui nous formait pour les IMS utilisait «putain» pour se reprendre quand elle bafouillait. Je lui ai signalé que ça me surprenait. Quoi qu'on pense de la prostitution par ailleurs, qu'on soit pour sa légalisation, son abolition ou sans opinion, il me semble que à peu près tout les militants sont d'accord pour dire qu'il n'y a pas de raison d'insulter ces gens. «Macro» ou «trader» serait plus cohérent, comme interjection, au vu des convictions de la personne. Et que si on dit de ne pas utiliser «pédé» comme insulte je ne vois pas comment on peut accepter «putain». Dans les deux cas, déjà, il peut y avoir des gens concernés qui nous écoutent, c'est pas forcément visible. Et puis il peut y avoir des gens ayant comme proche quelqu'un qui fait ou a fait cette activité.
  • Si je suis avec quelqu'un qui tente d'être ouvert d'esprit et de ne blesser personne. Donc quelqu'un qui, je pense, va accepter et apprécier cette remarque pour ce qu'elle est, une manière de réfléchir sur ses pratiques et de s'améliorer, et pas un acte de censure. Bref, pour moi, reprendre quelqu'un, c'est lui faire implicitement un compliment, car je pense que c'est une personne ayant des valeurs que j'apprécie.

Notes

[1] attiré par un seul genre

[2] homme à cheveux long, rasé et androgyne, on peut avoir un début d'idée

[3] Et les bis ?

[4] C'est marrant de connaitre des youtubeurs. Ça relativise tout de suite ma joie quand je dis «l'ims a fait 2000 vues !»

Commentaires

1. Le jeudi 2 juillet 2015, 15:41 par Loony

Un article très intéressant, je me pose souvent cette question aussi ^^ Perso je fais plus simple : quand je suis trop fatiguée pour reprendre, je reprends pas. Quand la personne est concernée, bien sûr je ne reprends pas. Sinon je reprends, enfin j'essaye. Du coup j'ai un peu la posture du "oh, that's nice, do you want me to ruin it with my feminism ?" mais j'assume assez bien ^^
Par contre je n'ai jamais fait attention à l'interjection "putain", mais tu as raison, c'est un habitude à perdre.

2. Le vendredi 3 juillet 2015, 13:04 par Typhon

L'autre jour en faisant la vaisselle, j'ai traité mon éponge d' "enculée". J'ai eu une pause et je me suis dit "de quoi ?".

« une personne qui nous formait pour les IMS utilisait «putain» pour se reprendre quand elle bafouillait. »

Dans ce contexte, ça me paraît un peu abusif de reprendre, "putain" c'est ici une interjection qui renvoie pas à un référent spécifique.
C'est pas comme si elle avait dit "machine est une putain", ou "machin est un fils de pute".

Sinon, comme disait Scott Alexander :

«One important feature of safe spaces is that they can’t always be safe for two groups at the same time. »
http://slatestarcodex.com/2014/01/1...

Bon évidemment la limite de ça c'est qu'on parvient à la conclusion que pour être parfaitement "safe", faut être seul (et encore).

Bref, y a un compromis à trouver.

https://twitter.com/TyphonBaalAmmon...

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