Quelques remarques sur un article

Je me suis encore fait refuser un papier en conférence, mais je suis content. Pour la première fois, les commentaires étaient précis et me donnaient l'impression d'avoir été lu. D'ailleurs on m'a même conseillé des papiers que je ne connaissais pas et qui étaient pertinent pour mon sujet. En gros, mon résultat méritait publication. Mais une fois totalement réécrit, car c'était (c'est?) illisible.

J'ai 2 directeurs de thèse, et ait principalement travaillé avec l'un. Mon autre directeur de thèse a fini par me faire comprendre un point sur la rédaction qui m'échappaient, alors qu'il semble tout bête en principe: expliquer ce que je fais. En gros, mes résultats étaient mathématiquement corrects (encore que), mais à la manière d'une preuve formelle, à la manière de coq. Mais sans le coté formellement formel. Par exemple, ça ne m'a jamais gêné d'écrire «on suppose sans perte de généralité que b est supérieur ou égal à 4». J’expliquai pourquoi il n'y a pas de «perte de généralité», puisque j'en parle. Mais je ne disais pas pourquoi c'est utile. Ça a été mon déclic, quand mon directeur a lu l'introduction du papier devant moi et m'a demandé pourquoi b est supérieur ou égal[1] à 4, je lui ai expliqué, et il m'a demandé «ce que tu viens de m'expliquer, pourquoi tu ne l'as pas écrit ?».

Note

[1] C'est bizarre d'écrire en toute lettres «supérieur ou égal», alors que ça se dit bien. Je devrais peut-être dire: est au moins 4

En fait, il m'a signalé que c'était important, car il pouvait y avoir plusieurs raisons très différentes. -Le résultat serait faux si b valait 2 ou 3, -la démonstration plus complexe, - la démonstration serait totalement fausse. Et quel étape serait fausse pour 3 et vrai pour 4 ? Tout ça, c'est des questions naturelles qu'un lecteur peut se poser: «à quoi ça sert ?», et auxquels je ne répond pas, ou pas directement. Car en fait la réponse était donné, 6 pages plus loin.

Je précise, ici «À quoi ça sert», ce n'est pas «à quoi ça sert dans l'absolu: est-ce que ça va sauver des vies que b soit au moins 4 ?». Non, on fait des maths, on admets que les résultats sont intéressant en soit, avec ou sans application plus tard, on ne sait pas, pour l'instant ce n'est pas la question. Dans le titre, le résumé, l'introduction, j'ai indiqué que j'allais démontrer un théorème, alors on se demande: «à quoi ça sert que b ne soit pas plus petit ou égal à 3 pour démontrer ce théorème». Alors, finalement, j'explique qu'on veut pouvoir avoir 3 entiers distinct entre 0 et b-1, tels qu'il y en ait deux d'entre eux dont la différence soit au moins 2.

Je ne sais pas si c'est clair pour tout le monde, ce que ça veut dire quand j'écris: «b est supérieur ou égal à 4». Une chose qu'on entend souvent quand on fait des math et qu'on parle à des gens dont ce n'est pas le métier, c'est: «Comment une lettre peut être égale à un chiffre ?» La notion de variable pose problème. Et bien, un point que je trouve marrant dans mon domaine, c'est qu'en théorie des langages les chiffres sont des lettres. Par exemple 2015[1] est un mot sur l'alphabet {0,1,2,3,4,5,6,7,8,9} et donc pour nous 2 est une lettre.


Cela fait donc plus d'un mois que je réécris mes documents pour expliquer ce que je fais. Et j'ai donc 3 ans de documents à réécrire. C'est long, plus d'une centaine de page (avant réécriture). Pour vous donner une idée, déjà, je sais écrire «straightforwardly» du 1er coup sans me tromper maintenant ! Et ça, je trouve ça impressionnant. Pour vous donner une autre idée, l'article dont je parle depuis tout à l'heure, il démontre 3 théorèmes. Pour cela j'utilise 39 définitions, des classiques et d'autres que j'introduit pour le papier spécifiquement. J'utilise 49 lemmes, c'est à dire 49 résultats intermédiaires, car contrairement en cours de maths, un théorème se prouve rarement directement. J'utilise 74 équations, et encore je ne compte que celles assez importantes pour mériter une ligne à elle seule, et pas les petites formules dans les phrases. J'ai un découpage en 45 sections, sous-sections et sous-sous-sections. J'ai aussi 154 entrées d'index, car mon directeur m'a fait remarquer, à juste titre je le crains, que je ne pouvais pas lui demander de retenir tant de dizaines de notations par cœur. J'utilise aussi 13 citations, 13 papiers dont les travaux m'ont inspirés, s'ils n'ont pas fondés le domaine. Le tout en 52 pages.

Et c'est là que je me redis que j'aurai du comprendre cette leçon plus tôt. 52 pages pour avoir l'explication entière du résultats, c'est énorme. En conférence, j'avais le droit à 12 pages. Je déteste ça, car supprimer 40 pages, c'est retirer beaucoup d'explications. C'est rendre le papier incompréhensible il me semble. Sauf que non, au contraire, j'aurai du comprendre, que c'est garder l'essence du papier. Certes, je donne un algorithme, que personne ne pourra implémenter sans les détails. Mais les détails, ce n'est pas pour une conférence. Après tout, c'est 5500 lignes de codes et 600 lignes de commentaires en oCaml. C'est énorme.

Dans mes 13 citations, à force de faire de la logique, ça devait arriver. Je met en bibliographie un papier en allemand. Alors que la seule chose que je sache dire en Allemand, je le dois à l'humoriste Yacine, c'est «Das ist die toilette»(sic). Et Yacine en est fier en plus ! Plus précisément, je cite Presburger. C'est à dire que j'indique le nom du papier dans lequel a été défini ce qui s'appelle aujourd'hui la Logique de Presburger, même si je n'ai jamais lu ce papier moi même, et même si son résultat a depuis pu être amélioré par d'autres. Autant dire que je connais le nom de Presburger, mais rien de lui. Ça fait 3 ans que je travaille sur le domaine qu'il a initié sans avoir eu de curiosité sur sa personne. Je dis ça car ça m'a fait bizarre, au détour d'un clic par accident sur wikipédia, j'ai découvert qu'il est mort en camp de concentration. Je ne sais même pas pourquoi ça m'a donné un coup, après tout, je supposais qu'il était mort depuis un bon moment, vu que je ne connais personne qui ne l'est connu. Alors qu'en général, les grands mathématiciens vivant ou récemment décédé, j'ai toujours un prof qui a une anecdote à nous raconter à leurs sujets. En plus, ce n'est pas comme Galois, un génie à l'histoire romantique et romançable, et dont finalement je ne connais pas vraiment le travail mathématique. Presburger, même si je n'ai lu qu'une traduction de sa démonstration dans un bouquin, j'ai pu comprendre sa trouvaille et l'adapter à mon travail, ça fait une proximité mentale. En fait, je perçois les mathématiciens que je cite comme des collègues, j'utilise leur travail quand j'en ai besoin. C'est donc un collègue mort en camp.

Ça m'amuse[2] d'écrire ce dernier paragraphe, car je sais que mon professeur d'initiation à l'informatique théorique nous avait mis dans son cours quelques biographies. À l'époque je ne comprenais pas trop. Ceci dit, j'étais touché qu'il parle de Turing et de sa mort. Que ça ne soit pas passé sous silence. J'arrivais à l'université, une époque où je ne disais pas aussi facilement que j'étais homo, et ça rassurait. Et bien aujourd'hui que je fais de la recherche, je comprend mieux l'envie de mettre une mini bio d'autres chercheurs. Surtout dans un domaine aussi récent.

Notes

[1] En passant, bonne année

[2] en me relisant, je me rend compte de l'horreur de cette expression. Pour moi et pour d'autres matheux que je connaisse, «ça m'amuse» ne signifie pas que ça me fasse rire. Loin de là. Juste que je trouve ça particulièrement intéressant, loin d'être anodin. Ça attire mon attention de manière intellectuellement plaisante.

Commentaires

1. Le jeudi 1 janvier 2015, 01:22 par Typhon

''mon professeur d'initiation à l'informatique théorique nous avait mis dans son cours quelques biographies. À l'époque je ne comprenais pas trop''

Maintenant tu sais.
La recherche, c'est avant tout des hommes et des femmes qui cherchent.

Typhon

2. Le jeudi 1 janvier 2015, 10:49 par N

Cet article me parle énormément, merci.

Peut-être les raisons de ce que tu écris peut être éclairé par ceci : iIl ne viendrait même pas à l'idée d'un homme de lettres de ne pas s'intéresser à la biographie d'un auteur ou la genèse d'une œuvre, ou de nier la prégnance du contexte historique...

Je pense que les math (et autres sciences modernes) sont encore trop jeunes pour être polies avec les contextes historiques, et les jeunes prodiges (qu'on veut de plus en plus jeune) sont encouragés à penser les math hors du temps. Je pense que cela va changer. La mort de Grothendieck a apporté au moins un peu de ce débat sur la scène publique.

Bonne année Arthur.

3. Le samedi 24 janvier 2015, 14:07 par LCF, bananéééé!

"La recherche, c'est avant tout des hommes et des femmes qui cherchent."
C'est aussi des mouches.
Gnéééé hé hé hé!

"les math (et autres sciences modernes) sont encore trop jeunes "
C'est pas pour être chiant, mais on fait des maths depuis le début de l'Histoire, et peut-être même avant.

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