Moins d'IMS cette année

Finalement, je ferai peut-être moins d'IMS - Intervention en Milieu Scolaire - contre les LGBTphobies que ce que j'aurai imaginé. Et pas que grâce aux nouveaux intervenants qui me permettront d'en faire une plus petite portion. Mais des responsables d'établissements ont annulés la semaine dernière 9 interventions en milieu scolaire dans 3 établissements différents.

Dans un cas, l'intervention devait survenir suite à un gros cas d'homophobie, et le lycée a craint pour notre sécurité physique. Je suppose que j'apprécie l'annulation, j'ai aucune envie de me battre. Dans un cas, les parents ont retiré leurs enfants de l'établissement, donc ça sera reporté à un moment où les esprits se calmeront. Dans le dernier, c'est suite à la pression des parents et c'est définitivement annulé.

Je n'ai pas plus de détail que ça. Ça m'énerve. Bon, je me doutais que ça arriverai, je suis même surpris que ça ne soit pas arrivé plus tôt[1], l'année dernière par exemple. Vu les propos que nous tenaient des élèves, et vu ce qu'ils nous disaient sur leurs parents, je me doutais qu'il y avait un bon nombre à qui notre discours déplairait beaucoup. Mais ça m'énerve quand même. Et je ne sais pas explicitement dire pourquoi. D'où ce billet, pour noter les idées et tenter de l'analyser.

D'abord, ça fait deux ans et demi que je me prend des remarques LGBTphobes régulièrement grâce à ces interventions, que je me fais traiter de menteur, parfois insulter, par les élèves. J'encaisse[2]. Je crois qu'en fait j'en veux aux établissement de ne pas faire de même. Sauf que moi, je me prend des petites tranches de deux heures, puis je ne revois plus les élèves. Eux ils doivent tenir des années avec les mêmes, donc c'est être de mauvaises foi que de leur reprocher de chercher le calme quand nous on n'hésite pas à mener des joutes verbales.

D'un autre côté, ce que j'ai toujours trop tendance à oublier, et qu'ils oublient peut-être parfois, c'est qu'on n'est pas là que pour convaincre les LGBTphobes de réfléchir. Ni même les gens qui ne sont ni LGBTphobe, ni LGBT-friendly. Les indifférents quoi. C'est bien, et c'est indispensable, qu'ils réalisent que les actes qu'ils peuvent imaginer sans conséquence, comme utiliser "pd" comme insulte, ne sont pas anodins. Tout ça, on le voit, on le sait, quand on intervient, et le personnel du lycée peut le voir aussi.

Mais bon, ok, même si c'est dommage de pas pouvoir en parler avec ces élèves., à la limite, j'ai l'impression qu'il n'y pas absolument urgence, et qu'il est vrai que cette discussion se passerait mieux dans un contexte plus détendu, ce que j'espère qu'on n'aura d'ici quelques mois.

Mais je suis aussi là, et je dirai même, surtout là, pour parler aux jeunes LGBT ou en questionnement. Je dis que j'ai tendance à l'oublier, car je le vois rarement. Statistiquement, la majorité des personnes concernés ne le disent pas, ou parfois nous le disent rapidement en sortant de la salle, en chuchotant pour que personne d'autre ne soit au courant. Je dirai même qu'on ne doit pas dire aux élèves qu'on veut parler aux LGBT de leur classe, car si on leur dit que statiquement il y en a 3 dans une classe de 30, ça vire à la recherche de "qui est le gay", explicitant les clichés qui leur font croire que tel ou tel personne est homo. (Ils ne cherchent jamais qui serait trans ou bi par contre)

Bref, on ne sait pas qui sait, on ne peut pas et ne veut pas savoir qui l'est. Mais ils existent et nous écoutent. Et c'est un sujet très important pour eux, encore plus que pour nous. Car dans certains cas, c'est une des rares fois où ils ont entendu dire du bien des LGBT, que ça peut aller mieux, et qu'il existe des endroit où se retrouver, (même si leurs parents sont contre) et où on peut découvrir qu'on n'est pas unique, ni même exceptionnel. - Parce que c'est une chose de vaguement savoir qu'il y a des LGBT quelques parts. C'en est une autre d'avoir une preuve constructive, d'en connaître, de les fréquenter. Et également de se dire qu'on peut trouver des gens de même orientation sexuelle, donc potentiellement trouvé un partenaire un jour[3]. Et donc, en pensant à cela, ça m'énerve, beaucoup, qu'on retire cette possibilité à ces quelques élèves, pour calmer un plus grand nombre. Encore plus si on leur a annoncé l'intervention et qu'on l'annule, car ça revient à leur dire « finalement, c'est pas important. » et pourtant si !

Bon, je m'arrête là, je me lève tôt demain matin, et je vais parler pendant 4 heures à deux classes différentes, avec 1h45 de transport aller. Et que ce billet est déjà trop long.

Notes

[1] De même que je suis surpris, malgré les quelques retweet/follower que mes comptes-rendu m'apportent sur twitter, je me sois pas encore pris de remarque homophobe en réponse à ces commentaires.

[2] Bon, ceci dit, j'ai pas de mérite à encaisser les remarques transphobes, quasi systématique.

[3] Merci de ne pas me signaler que je suis probablement en train de projeter mes souvenirs de lycées, le témoignage n'est pas unique

Commentaires

1. Le lundi 3 février 2014, 23:08 par Typhon

Je reconnais là le courage caractéristique des chefs d'établissement scolaires.
Tu t'imagines bien que des gens qui sont pas capables de sanctionner correctement un élève qui étrangle son CPE ( http://webcache.googleusercontent.c... ) seront tout aussi incapable d'être fermes face à la pression de parents prêts à croire les rumeurs les plus dingues...

"on leur dit que statiquement il y en a 3 dans une classe de 30"

Quand j'étais au lycée, j'avais fait le même raisonnement sur une classe de 35, qui contenait donc logiquement trois gays et demi... Abuser des statistiques me faisait déjà rire.

Sinon, c'est très intéressant ce que tu dis quant à l'importance de ces interventions pour les jeunes homos, bi ou trans.

Autant j'ai du mal à croire qu'on puisse défaire toute une éducation de préjugés en une intervention de deux heures dans un cadre scolaire, autant, cette idée que ces adolsscents-là en particulier ont besoin d'entendre qu'ils ne sont pas seuls, est vraiment importante.

Typhon

2. Le mardi 4 février 2014, 06:25 par Athreeren

"De même que je suis surpris, malgré les quelques retweet/follower que mes comptes-rendu m'apportent sur twitter, je me sois pas encore pris de remarque homophobe en réponse à ces commentaires."

Je voudrais bien essayer, mais tes exemples placent la barre tellement haut, je n'arriverai jamais à faire aussi bien. Et dire qu'ils arrivent à sortir de si belles remarques homophobes sans même le faire exprès... À ce niveau, c'est un don, c'est presque dommage de les en décourager.

3. Le jeudi 6 février 2014, 22:55 par Arthur Milchior

@Typhon, ravi de voir que j'ai dit un truc très intéressant. (Parce que le reste, non ?). Par curiosite, ce n'était vraiment pas clair avant ce billet ? (et pourtant, toi, je sais que tu lis régulièrement mon blog)

Défaire toute une éducation, non. Notre but est d'initier une reflexion, qui se prolongera ou pas. En demandant "si un ami vous dit qu'il est homo, vous réagissez comment", ils auront déjà réfléchi à la question et seront, j'espère, un peu moins surpris, la première fois qu'ils voient un coming-out. 

@Athreeren, tu m'as fait rire. Mais plus sérieusement, mon but est pas d'entendre la pire insulte homophobe. Mais des parents, par exemple, pourrait tomber dessus, et raler car ils sont contre. Ils pourraient y avoir des gens qui pensent vraiment leurs insultes. 

4. Le dimanche 9 février 2014, 10:37 par Typhon

« , ravi de voir que j'ai dit un truc très intéressant. (Parce que le reste, non ?). »

Je dirais que le reste m'a simplement moins frappé, même si je l'ai lu avec intérêt aussi.

Il m'est assez difficile d'expliquer pourquoi ça m'a frappé, d'ailleurs.
Je pense que fondamentalement, c'est parce que je n'y aurai pas pensé moi-même, pour diverses raisons.
Alors que pourtant c'est évident.

Typhon

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