Militant, poil au dent.

Il parait que je suis militant. C'est pas moi qui le dit, c'est Yagg: «Aujourd’hui ces huit BD ont été traduites en français par Arthur Milchior, un jeune militant du Mag Jeunes LGBT.»[1]

Ce billet dédié à une des deux personnes dont je parlais dans le billet précédant. Ça fait quatre ans que je fais des IMS, la 100ème[2] est prévu pour vendredi prochain. Elle a le recul que je n'ai plus, tout en partageant mes opinions, et ça fait du bien de discuter avec quelqu'un qui n'est pas la tête dans le guidon, qui ne fait pas les choses par habitudes mais peut dire ce qui la[3] turlupine.

Il y a une raison pour laquelle je ne me qualifie pas, ou rarement, de militant. Une raison moins profonde que celle pour laquelle je ne me qualifie pas de féministe. C'est l'étymologie, «militis: soldat». Je fais confiance à wikipedia, et même si c'est faux, il y a toujours la proximité avec le mot militaire. Dans ma tête, ce mot est accompagné d'images transgressive, je pense d'abord au plus médiatiques, que ça soit les Femen aujourd'hui, ou act-up. Ça peut aussi être des tags dénonçant l'inégalité combattue, les gréves lycéennes avec blocage d'établissements. Bref, dans mon imaginaire, militant, c'est un truc transgressif, et risqué, que ce soit administrativement ou physiquement.

Notes

[1] Vous remarquerez que quand je parle d'actualité, que je vous sors un article, c'est avec un an et demi de retard.

[2] La 103ème aussi

[3] Oui, «la», le pronom variera, puisque la personne concerné est agenre.

Mon association est agréé par le ministère de l'éducation nationale et les 3 académies franciliennes, on entre en donnant parfois notre nom et/ou une pièce d'identité à la loge, avec l'accord de l'infirmier/ère, du/de la proviseur/e ou CPE, et on mange parfois avec eux dans la cantine de l'établissement qui nous est souvent[1] offerte. Parfois même le/la prof ou surveillant/e nous aide à garder le calme si la classe est trop agité. Autant dire que niveau transgression, je suis dans le négatif. Au pire, je sais théoriquement qu'il y a des parents d'élèves contre nous, à cause des «journées de retrait de l'école».

Bien sûr, ou hélas, ce n'est pas advenu tout seul. J'ai pu vivre ma vie de mes 17[2] à mes 23 ans[3] sans jamais me soucier de l'homophobie, grâce au travail de mes prédécesseurs. Je suis là pour la 4ème année dans les écoles, parce que des militants se sont battus pour que l'homosexualité ne soit plus considéré comme une perversion, car le Front homosexuel d'action révolutionnaire, les Gouines Rouges, et tellement d'autres associations, ont imposé la visibilité, ont lutté pour l'acceptation et ont milité pour des droits.

Aussi parce qu'il a 30 ans des gens se sont dit que pour être plus fort, mieux résister à l'homophobie, il vaut mieux être ensemble, et spécifiquement permettre aux jeunes de se retrouver, se soutenir et voir qu'ils sont pas seuls, donc on fondé le Mouvement d'Affirmation Gay, [4]. Et que je sais que des anciens d'il y a 15 ans nous on dit qu'ils en reviennent pas qu'aujourd'hui des dizaines et dizaines de lycées nous demandent de venir parler des homos[5] chez eux !


Relisons les deux derniers paragraphes. J'ai écrit «battus», «imposés», «lutté», «fort», «résister», «soutenir». Il y a une rhétorique guerrière qui vient naturellement et me déplaît. Parce que non, je ne me «bat» pas, la métaphore est fausse. Je n'ai jamais rien risqué en faisant ces IMS, j'ai entendu parler, une fois, d'un élève qui commençait à se montrer violent, donc d'une IMS qui a été écourté. C'est ma 4ème année et il y a plus de 100 IMS par ans, autant dire que même si j'en fais plus d'un tiers d'entre elle, ça reste pas grand chose. À la limite, le plus gros risque que j'ai eu l'impression d'avoir, c'est une prof qui est venu nous chercher en voiture dans une gare de RER en banlieue et dont la conduite jusqu'au lycée laissait à désirer.

Je ne suis même pas là pour imposer quoi que ce soit aux élèves, je ne lutte pas contre eux, même pas contre les élèves homophobes. Je discute avec eux. C'est tout, je parle. Des gens me font des tas de compliments quand je leur raconte les IMS, quand je répète des horreurs ou des choses mignonnes que j'entends. Mais en fait, je ne fais que ça, discuter avec des gens, pendant deux heures, avec de 8 à 35 inconnus. Parfois des inconnus très sympa, parfois en total désaccord avec moi, mais je ne fais que parler. Et ceux qui me connaissent savent que je suis très bavard. Alors si je peux faire une différence en discutant, tant mieux ! J’admets que parfois j'en ai marre de toujours parler du même sujet. Que, même si après tant de temps j'ai toujours l'impression de ne pas le maîtriser à fond, d'avoir des lacunes, parfois je me dit que ça serait cool de passer sur un autre[6]. Mais au fond, je me contente d'apporter mon vécu - parfois édulcoré -, des «faits», mes opinions, celles de l’association histoire qu'on soit d'accord et raccord entre nous, et les témoignages d'autres personnes que je répète, quand mon vécu n'est pas pertinent.

Mais j'arrive pas à me qualifier de militant, j'ai l'impression d'usurper un mot. Et si je comprend ceux qui s'énervent, et face à l'injustice c'est tout naturel, c'est pas ce que j'ai envie d'être ou de faire.

Notes

[1] Il y a 2 exceptions, et j'ai toujours refusé de payer les cantines des écoles, faut pas pousser.

[2] Age où j'ai compris que j'étais gay

[3] Âge où j'ai commencé les IMS.

[4] Pour le coup, je brode, il y a un souci d'archive concernant le mag, disons que j'imagine que c'est à peu près l'idée.

[5] On parle des LGB et T, mais il est rare que les profs nous parlent d'autres choses que des homos.

[6] Je ne le fais pas, car l'intérêt de la discussion vient de la possibilité de témoigner. Il n'y a pas d'IMS sur le polyamour ou l'aromantisme, et je n'ai pas de témoignage a donner sur le racisme ou le handicap, je pense donc être là ou je suis le plus utile.

Commentaires

1. Le samedi 28 mars 2015, 15:56 par N

Un point supplémentaire : les gens rêvent de donner du sens à leur vie, et admirent les gens qui font un geste «beau et désintéressé» tel que celui d'aller dans des lycées parler et faire parler des jeunes pour davantage de tolérance. Ça donne du sens à la vie, ces gestes-là, et les gens appellent ça «militer» (quand ce n'est pas quelque chose de prestigieux et/ou qui te demandent d'investir par toi-même beaucoup d'argent, en gros quand c'est plutôt associatif.)

2. Le samedi 28 mars 2015, 19:29 par Typhon

C'est pas rien de donner de son temps pour faire quelque chose, surtout quand ça implique de prendre les transports pour aller dans des lycées de banlieue alors que de son propre aveux, on n'aime pas trop sortir de chez soi.

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