Existence après la mort

Trigger warning: Mort, attentats, suicide, homophobie

Je suis athée. Au lieu et à l'époque où j'habite, c'est pas un coming-out dur à faire. C'est en général quelque chose qui m'intéresse tellement peu que je suis loin de considérer que ça fasse partie de mon identité. Au même titre que ne pas regarder le foot, le tennis ou le judo n'en fasse pas parti non plus. Et pourtant, je ne sais pas pourquoi, il y a un point, précis, parmi tout ce qui de l'idéologie religieuse transparaît dans la société en générale, qui me met très mal à l'aise.

Le paradis. L'idée d'un après. Et surtout, l'idée que nous TOUS irons quelque part. Quelque part qui ne soit pas le tombeau, l'urne, la fosse, le ventre d'un animal, etc... Donc l'idée que les athées, aussi, y aillent. C'est d'ailleurs assez surprenant, je n'ai pas trop de problème avec l'idée que des gens croient que eux, ou que d'autres croyant, aillent dans ce paradis, cet enfer, cette résurrection, ... Et s'ils croient que eux auront ça, il n'y a pas de raisons qu'ils ne croient pas que nous aurons cela aussi. C'est juste cohérent. Alors que l'un ne me gène pas, et l'autre si.

Un exemple

J'ai pensé à ce billet en sortant du spectacle de les Funambules. Ce groupe a une chanson à la gloire d'Alan Turing. Alan Turing est connu pour un certain nombre de raison. Inventeur de l'informatique, héros caché de la guerre, et suicidé suite à sa castration chimique ordonné pour le guérir de son homosexualité.

Alan Turing fait donc un parfait exemple de martyr. Ainsi qu'une preuve que la discrimination nuit aussi à la société qui discrimine, qui aurait pu bien plus profiter de son talent[1]. Et c'est l'angle de cette chanson, où on dirait que l'univers entier est contre le héros Alan.

Mais Turing, si j'en crois la biographie de Hodges, a aussi une autre particularité. Il a voulu simuler l'humain. Il a voulu comprendre la pensée humaine au niveau le plus physique et biologique qui soit. L'humain est en réalité une machine complexe. Je ne pense pas beaucoup extrapoler en disant que ça implique que la mort met une fin définitive à cette machine. Alors, quand la chanson finit par «Bienvenu chez les anges», J'entends que la personne a décidé de totalement ignoré qui était vraiment Turing, son but, ses idées. J'ai ressenti cela comme une insulte.

Si jamais le parolier pense vraiment qu'il est chez les anges, alors il pense que Turing est quelqu'un qui s'est fondamentalement trompé sur une idée qui l'a occupé une grande partie de sa vie. Qu'il a de garder un martyr bien utile, en remplaçant la personne par l'image qu'ils recréent. Je ne peux m'empêcher de me demander si à un moment, le parolier a pensé à demander à un spécialiste de Turing s'il écrivait pas de connerie. Et quelque part, j'espère qu'il ne l'a pas fait, parce que je serai inquiet qu'un spécialiste ait validé cette chanson.

L'immortalité scientifique.

Je pense que c'est pour ça, pour cette idée totalement assumé que la mort c'est... fini... que j'ai une si grande admiration pour Eliezer Yudkowski. Parce que c'est la première fois que je lis la promesse de l'immortalité. Alors que d'habitude seule la religion promet ça. Mais Eliezer le fait avec un discours dans le genre littéraire de la science

Je dis genre littéraire[2], car si le discours n'a pas la même forme, entre le cryogénisation et l'A.I. qui nous sauvera, il fait des promesses pas si loin de celles des religions. Et je ne connais pas assez son domaine pour pouvoir ne serait-ce qu'attribuer une probabilité de succès à ses propositions. Mais ça me semble toujours plus crédible que les propositions des religions.

Il pense quand même que ceux qui sont mort AVANT qu'il n'ait réussi son travail sont définitivement mort. Lui ou quelqu'un d'autre, il n'est pas sûr de finir de son vivant, mais il pense que quelqu'un finira ce travail. Il est donc, selon moi, l'auteur qui parle de la mort avec le plus de tristesse et de force. Je pense en particulier à une lettre qu'il a écrit au décès de son frère.

Et je me sens très légèrement mieux de lire quelqu'un qui est d'aussi direct, qui assume totalement ce que beaucoup de gens - d'athée au moins - supposent réellement. Qu'il ne fasse même pas la suggestion d'un potentiel après.

Ce que je ferai

Si je croyais à la vie après la mort, je suppose que je ferai plein de trucs super risqués. Après tout, c'est pas grave si j'ai le sida ou une adduction, ça ne serait que passager. Et en attendant de savoir comment sera la vie après, autant profiter à fond de l'instant présent. D'autant que c'est le seul moment où je peux profiter du risque. Une fois mort, je ne peux plus mourir.

Même si on reste dans l'idée manichéenne de bon/mavais, pour paradis/enfer. Le fait d'avoir profité ne nuit pas nécessairement aux autres humains. Ça n'empêche pas de faire du bénévolat et de propager des idées qu'on trouve importante, ou de créer de l'art.

D'un autre côté, s'il y a vraiment un paradis, et encore plus si on va tous au paradis, alors la cohérence voudrait qu'on y envoie le maximum de gens. Le paradis à l'air plus cool que la terre actuel. Ou alors, si on ne peut pas se reproduire au paradis, et qu'on veut le maximum de gens heureux, le but des gens sur terre devraient être de créer le plus d'humain possible, pour qu'il y ait autant de gens possible qui profitent du paradis. Et si on suit le raisonnement, euthanasie les gens qui ne peuvent/veulent pas se reproduire, qu'ils profitent du paradis le plus rapidement possible.

J'ai déjà écris pas mal d'horreurs. Un censeur interne semble m'empêcher d'aller plus loin pour l'instant dans mon raisonnement. Déjà que ça m'a pris plusieurs essais pour me forcer à assumer ce que je pense. Je ne sais pas d'ailleurs si c'est des horreurs pour tout le monde. Je sais que c'est une horreur pour moi, parce que je ne crois pas à l'existence après la mort. Et parce que j'ai l'impression que ce que j'ai écrit plus haut risquerait de raccourcir ce moment de vie que j'ai.

Finalement, je pense que ça explique bien pourquoi je suis très mal à l'aise avec tout ceux qui montrent des gens vivant après leurs morts. Parce que j'ai vraiment et sincèrement peur de ce qu'ils feraient, s'ils suivaient ce qui me semble personnellement cohérent.

Notes

[1] À ce titre, j'estime que les chercheurs juifs qui ont fui l'Allemagne sont un encore meilleur exemple.

[2] Parce que Yudkowski fait remarquer, à juste titre je trouve, que le public ne voient la science que comme un genre littéraire. Donc que le discours de n'importe quel amateur aura autant de poids que le discours d'un spécialiste, pourvu qu'il emploie le bon champ lexical.

Commentaires

1. Le mardi 31 janvier 2017, 02:46 par Typhon

L'éternité est un concept assez vertigineux. Il y a quand même une grosse différence entre les extensions potentielles à la durée de vie proposées par le courant transhumaniste, même dans ses variantes les plus dingues, et l'éternité proposée par le christianisme.

En définitive, si les lois de la physique ne permettent pas d'aller plus vite que la lumière ou ne permettent pas l'inversion de l'entropie, alors tôt ou tard on est tous condamnés dans ce monde, même en accordant tout le crédit possible au transhumanisme.

A contrario, un système de pensée dualiste avec une âme immortelle propose l'éternité, et comme disait Woody Allen, l'éternité c'est long, surtout vers la fin.

Je remarque que tu parles pas trop des autres formes d'existence après la mort, comme par exemple la réincarnation.

D'autant que si l'univers est infini (dans l'espace et/ou dans le temps), alors, il est possible que par le simple effet du hasard, nous existions une infinité de fois.

Personnellement, cet été je me suis attaqué à comprendre un peu de génétique, ce qui a eu pour effet de me renvoyer à ma propre matérialité d'une manière intéressante.

C'est une chose de penser abstraitement qu'on n'a pas d'âme immortelle et qu'on est entièrement fait d'atomes, c'en est une autre de commencer à envisager les conséquences profondes de cette idée, qu'elle implique de se voir soi-même comme un ensemble de processus chimiques.

2. Le mardi 31 janvier 2017, 03:34 par Arthur Milchior

@Typhon : Tu as totalement raison. J'ai clairement plus pensé aux images que je vois autour de moi. Qui incluent beaucoup plus les idées de paradis et d'enfer que de réincarnation. Je ne sais s'il faut en conclure quelque chose.

Effectivement, je ne connais pas de transhumaniste proposant l'éternité divine. Mais ça me rassure, pas dans le sens où je ne la voudrai pas. Juste dans le sens où ça me semble plus réaliste.

3. Le mardi 31 janvier 2017, 04:37 par lemoinem

Je pense que ton point final est une des raisons pour lesquels la très grande majorité des religions qui ont le concept de paradis inclus un commandement du style "tu ne tueras point" et considère le suicide comme "pécher mortal".

Ça évite d'avoir trop de monde qui vont au paradis prématurément...

4. Le mardi 31 janvier 2017, 12:04 par Athreeren

Je n’ai pas vraiment de doutes concernant la non-existence de Dieu ou de l’âme, et je devrais donc me dire athée plutôt qu’agnostique. Mais j’ai fini par réaliser que cette étiquette ne me correspondait pas tout-à-fait. C’était quand j’ai appris que certains mormons baptisaient des personnes appartenant à d’autres religions ou athées après leur mort. En tant qu’athée, ça ne devrait pas me poser problème. Pas parce qu’ils sont mort et n’existent donc plus (j’estime que le respect aux morts est une chose importante, même si je ne sais pas si c’est par rapport à la mémoire de la personne, ou à la société). Mais surtout, le rituel du baptême ne devrait avoir aucune valeur pour moi, puisque je sais que ça ne changera rien pour le décédé, alors pourquoi cela me choque-t-il ? Même en considérant les religions comme fausses, j’ai du mal à les ignorer complètement, et je suis donc agnostique.

Il y a une citation (apocryphe : https://www.chesterton.org/ceases-t...) de G.K. Chesterton qui dit « When a man stops believing in God he doesn’t then believe in nothing, he believes anything. » C’est bien sûr faux, mais dans le cas de Yudkowsky et de ses fidèles, je crois que ça explique beaucoup. Comme beaucoup, ils sont terrifiés par la mort, mais ils sont trop rationnels pour chercher un quelconque réconfort dans la religion. Alors ils appuient leur foi sur des choses qui leur semblent crédibles, et ils tombent dans tous les biais qu’ils critiquent habituellement, tel le biais de confirmation. Il est très rare de réussir à correctement prédire les technologies du futur, et de nos jours, elles changent tellement vite que donner des dates est parfaitement absurde. Je n’ai pas d’objection au fait que recréer un corps (et donc un esprit) à l’identique soit un jour possible, et donc qu’on puisse être immortel, mais je ne vois pas pourquoi ça arriverait de notre vivant (même si je l’espère). Quant à la solution de la cryogénisation, certes il n’y a pas grand-chose à perdre quand on est sur le point de mourir (à part que c’est extrêmement cher), mais leur croyance qu’on pourra un jour réveiller ces personnes est infondée.

Au-delà de la critique classique portant sur les lésions cérébrales*, je n’ai jamais vu un modèle de vie après la mort qui semble cohérent, en dehors de la réincarnation. La réincarnation est simple à concevoir, puisqu’il s’agit de recommencer quelque chose de similaire à ce qu’a été toute notre expérience. Mais aller dans un autre endroit, quel qu’il soit, est difficile à concevoir, puisqu’on doit considérer que tout le monde y est allé. Et j’ai du mal à voir comment il pourrait y avoir une première personne qui était suffisamment consciente pour s’y rendre, l’évolution de la conscience étant progressive et lente ; alors comme il n’y a jamais eu de saut net entre deux générations, et ce depuis les premières chaînes d’acides aminés, doit-on considérer que ces chaînes vont dans l’au-delà aussi ? Quant au paradis, l’idée d’être parfaitement heureux pour l’éternité est tellement étrangère à notre expérience terrestre, je ne vois pas comment on peut considérer qu’on serait encore la même personne.
Si la réincarnation est le seul modèle qui vaille (mais il a aussi ses problèmes), je ne vois pas en quoi il justifie de vivre notre vie différemment, au-delà du fait qu’on a un intérêt égoïste à améliorer le monde pour les générations futures, puisque nous sommes ces générations. La mort est toujours la perte de toutes nos expériences, et je ne vois pourquoi le fait d’avoir d’autres chances à l’infini devrait nous inciter à accélérer le passage de l’une à l’autre (même le Docteur, qui garde ses souvenirs à la mort, cherche à éviter cette expérience autant que possible). Et même dans le cas d’un au-delà, l’expérience de vivre là-bas étant très différente de notre vie terrestre, il n’y a pas d’intérêt à raccourcir celle-ci, puisqu’aussi longue soit-elle, un instant sur terre sera toujours infiniment plus rare que l’éternité passée dans l’au-delà. Donc si l’au-delà est mieux, on n’a pas grand-chose à perdre à vivre longtemps, et s’il n’est pas aussi bien que la vie, on a tout à perdre à mourir. Je crois que c’est ma réponse à tes « horreurs » : même si on admet que l’au-delà est exactement tel que décrit dans telle ou telle religion, il est tellement difficile d’imaginer ce que serait notre existence là-bas qu’on ne peut pas en déduire ce qu’il convient de faire ici-bas pour optimiser notre existence post-mortem.

Sauf dans le cas de la religion chrétienne, ou n’importe quelle autre religion qui promet une alternative. C’est le pari pascalien, sauf que pour être cohérent, il faudrait adhérer à toutes les religions de ce type, et faire exactement tout ce qu’elles préconisent pour entrer au Paradis et éviter l’Enfer. Et même si c’était possible, ça reviendrait à faire tant de sacrifices dans notre vie que contrairement à ce que pensait Pascal, le pari n’est pas neutre : s’il n’y a rien, on a gâché la seule existence qu’on aura jamais.

  • Une lésion cérébrale peut transformer notre comportement et notre façon de penser à tel point qu’on est une personne complètement différente. Donc que ce passe-t-il si on meurt après ça ? Est-ce qu’on vit éternellement avec les conséquences de la lésion (alors qu’on n’a plus de cerveau), ou est-ce que rien de ce qui s’est passé après la lésion n’est pris en compte ? Et si rien n’est pris en compte, que se passe-t-il pour ceux qui ont un problème neurologique de naissance ?

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